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Le débat sur la colonisation gagne le Maroc

Depuis le vote de la loi du Février 2005 qui glorifie la colonialisme français, notamment en Afrique du Nord, seule l'Algérie a protesté officiellement contre le regain de la pensée coloniale. Le Maroc officiel, est resté silencieux. Sans doute pour des raisons stratégiques. Mais l'envie de combattre le néocolonialisme ne manque pas. Telquel a interrogé quelques intellectuels marocains. Nous avons repris trois témoignages. Le dossier complet est publié sur le site du Magazine Telquel.


“Le colonialisme n'a aucune justification” (Edmond Amran El Maleh*)


En parlant des “effets positifs” de la colonisation, les Français masquent le “principe négatif” de la colonisation. Il ne faut pas rêver, le colonialisme ne saurait trouver la moindre justification. Si on nous pose la question, c'est comme si on regrettait l'indépendance. Imaginez qu'on demande aux Français si l'occupation nazie sous Pétain a eu un effet positif pour eux…
En faisant le bilan de nos 50 ans d'indépendance, il ne faudrait pas glisser vers une évaluation des effets du protectorat. On ne doit, en aucune manière, soupirer en regrettant le temps colonial. Il ne faut pas l'oublier, il s'est agi d'une domination étrangère, sous des formes subtiles, pour masquer la domination coloniale. Au fond l'expérience était violente. Le protectorat s'est installé après une lutte armée qui a duré jusqu'en 1934. Il y a eu de la torture. Plus grave, il y a eu des vols de terres, des détournements des richesses nationales, sans oublier la dépossession de notre personnalité. Nous avons été triplement dépossédés : de notre histoire, de notre culture et de notre langue.
Un petit détail : quand j'étais au Lycée Lyautey en 1938, nous étions peut-être une quinzaine de Marocains (plus de juifs que de musulmans) et nous y sommes entrés par des passe-droits et des faveurs. On nous y enseignait l'histoire de “nos ancêtres les Gaulois”. Notre propre histoire était totalement exclue des programmes. Ajoutez à cela l'attitude coloniale, où l'humiliation le contestait au paternalisme. A chaque occasion, on nous faisait sentir qu'on était des “indigènes”. Et rien de plus.

*Ecrivain, ancien dirigeant du Parti communiste marocain


“Ils étaient racistes et méprisants” (Mohamed Chafik*)

Le français, à l'époque, était raciste. Un homme de droite, Pierre de Coubertin, parlait de “races inférieures (devant) faire allégeance aux races supérieures”. Léon Blum, homme de gauche, estimait aussi que c'était “le droit et même le devoir des races supérieures d'attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture”. Le colonisateur français se comparait, inconsciemment, aux Romains. Parlant du Maroc, Paul Marty a écrit en 1925 : “Ce n'est pas sans émotion que nous apportons à nouveau, après 15 siècles d'absence, à ce peuple berbère qui a donné saint Augustin et combien d'autres, les claires disciplines de la civilisation latine”. Le modèle romain, nous le retrouvons dans la confiscation des meilleures terres, accordées aux vétérans français de guerre.
Le maréchal Lyautey savait flatter les indigènes. Quand il tombait malade, des notables, imams et autres ouléma de Fès priaient au patio de Boujloud, pour que Dieu le guérisse. Pourtant, il nous a installés dans un féodalisme irréversible. Il a proclamé en 1916 : “Je m'attacherai à ce que les rangs et les hiérarchies soient conservées, à ce que les chefs naturels commandent et les autres obéissent”.
On évoque souvent à tort la mission civilisatrice de la colonisation. Il faut savoir que les Français n'ont scolarisé que 5 à 7% des Marocains. Et on parle d'effets positifs !

*Académicien, ancien recteur de l'Institut royal de la culture amazighe


“Ces Français qui aimaient le Maroc” (Jean-Pierre Koffel*)

J’ai une pensée pour des Français qui ont mis à mal les colonisateurs. Ils constituaient l'exception qui confirme la règle. Gabriel Fourny cultivait des oranges à Oulad Taïma, et tenait vraiment à ce que ses ouvriers soient bien logés, bien payés et que leurs enfants aillent à l'école. Lorsque la marocanisation des terres l'a rattrapé en 1970, il était si fortement attaché au Maroc qu'il s'est tiré une balle dans la tête. Pierre Parent a fait de même. Mais qui se rappelle encore de ce pro-nationalistequi signait des éditoriaux dans L'Opinion ? J'ai aussi une pensée pour Marcel Lamoureux, un colon du Tadla, qui protégeait Hoummane el Fetouaki, la terreur des colons à l'époque. Je pense au Colonel Justinard, auteur de La vie du caïd Goundafi (l'alter ego du Glaoui), qui a épousé une marocaine et s'est isolé, refusant tout contact avec ses pairs les colonisateurs. Un autre colonel, Burett, s'était pour sa part converti à l'islam et donnait des cours d'arabe dialectal sur les ondes de Radio Rabat. Enfin, le commandant Henri Sartou a tout simplement abandonné le combat des militaires pour devenir journaliste. Il crée le quotidien Maroc-presse, qui soutient le retour d'exil de Mohammed V, dès 1953. Ce sont là des Français qui ont su privilégier l'amour de la culture sur la volonté de puissance.

*Ecrivain français, né et installé jusqu'à aujourd'hui au Maroc

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