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FICAM 2022 : La production marocaine d’animation se lance «doucement mais sûrement»

Lorem, Artcoustic et Neverseen sont les trois studios marocains producteurs des premières séries d’animation Made in Morocco pour la télévision nationale. Autant dire que le secteur est à son stade embryonnaire au Maroc, mais ces trois structures ambitionnent de devenir les premiers maillons de la chaîne, avec le projet d’exporter ces créations vers d’autres pays.

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Ali Rguigue (g.) directeur général d'Artcoustic et Yassine Lahrichi, directeur général de Neverseen / Ph. FICAM
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Le vingtième Festival international du cinéma d’animation de Meknès (FICAM), du 6 au 11 mai, fait la part belle aux productions mondiales des courts et des longs-métrages. Plus que cela, cette édition anniversaire constitue un espace de rencontres entre les professionnels nationaux du secteur, afin de réfléchir à leur avenir, leurs dynamiques de développement, de financement, de production et de diffusion des créations 100% marocaines. Cet espace d’échange a été rendu possible grâce à une première édition du Forum marocain du film d’animation. Pour les organisateurs du FICAM, il représente une première étape pour tenir, dans les années à venir, un «marché du film d’animation».

Après vingt ans de festival ouvert sur le monde entier, cette édition du FICAM continue ainsi de rassembler les créateurs de films d’animation, les étudiants et les producteurs dans leur diversité. La nouveauté qui s’y ajoute est celle de faire connaître les premiers producteurs de séries d’animation 100% marocaines, destinées à la diffusion dans le pôle public télévisé, 2M et la Société nationale de radiodiffusion et de télévision (SNRT) et dont certaines images ont été montrées en exclusivité.

Des productions de séries pour lancer des projets plus grands

Directeur général des studios Artcoustic, Ali Rguigue est à la tête d’une maison de production, qui est aussi une agence de communication, spécialisée en même temps dans l’animation. Pour la chaîne de télévision 2M, l’entreprise a produit la série d’animation «Les Marocains du ciel», ainsi que «Hikayat wa îibar» (Contes et apprentissages) pour la SNRT. Ali Rguigue est présent au FICAM pour la deuxième fois. «Cette année nous a permis de consolider et de mieux comprendre la plateforme d’échange qu’est ce festival. L’interaction avec des intervenants internationaux ici nous aide à savoir où est-ce qu’on en est, par rapport à ce qui se fait ailleurs», a-t-il déclaré ce lundi, réagissant au sujet de son expérience avec le FICAM en tant que professionnel du secteur.

«L’animation existe en France depuis trente ans. Chez nous au Maroc, elle existe au FICAM grâce à ses organisateurs, la Fondation Aïcha et l’Institut français de Meknès. Il y a beaucoup de belles choses qui se passent depuis vingt ans. Le Maroc est à l’honneur de cette édition, et c’est intéressant pour nous comme opportunité pour lancer un go officiel de l’animation dans notre pays.»

Ali Rguigue

Évoquant en particulier les projets des séries d’animation produites pour la télévision marocaine par les studios Artcoustic, Lorem et Neverseen, Ali Rguigue estime que ces trois structures ont un but commun : «recruter, former très rapidement et des professionnels et pouvoir produire très rapidement plusieurs saisons». «Notre présence au FICAM est aussi une opportunité pour nous d’exporter notre culture à l’internationale. C’est quelque chose qui est très demandé dans le monde et je pense que c’est le moment de le faire», a-t-il soutenu.

Directeur général de Neverseen, Yassine Lahrichi est à la production de «Lilya et Rayan» pour 2M et «Abtal Al Aoula» pour la SNRT. «C’est ma deuxième présence au FICAM aussi. Ma première date de 2007 avec Ubisoft. Lors de cette vingtième édition, j’ai vu un énorme changement dont j’ai été impressionné. Cela m’a montré l’évidence que nous avons beaucoup de décisions à prendre en urgence sur nos choix techniques pour développer l’animation», a-t-il affirmé.

Au Maroc, les techniques de 3D sont encore les plus utilisées dans le secteur. «Il y a des choix stratégiques qui doivent être pris par les professionnels, avec le courage qu’il faut, afin de trancher et de continuer à suivre le développement rapide des process dans la production mondiale d’animation, qui fait beaucoup d’autres choses que la 3D», a ajouté le producteur.

«Les étudiants ont de très bonnes bases artistiques. Nous avons pu les encadrer ici en ateliers et nous serons ravis de les accompagner pour aiguiser leurs talents et se rendre utile à la production nationale du cinéma d’animation, qui est encore à ses tout premiers pas et où nous optons pour avancer doucement mais sûrement.»

Yassine Lahrichi

Abtal Al AoulaAbtal Al Aoula

Poser les jalons d’une production filmique 100% marocaine

Yassine Lahrichi dit ressentir réellement que «c’est un moment historique» et que «de grandes choses se préparent pour se concrétiser». «Dans deux ou trois ans, je suis sûr qu’il y aura au minimum un ou deux longs-métrages 3D marocains exportables vers l’étranger», a insisté le producteur. Auprès de Yabiladi, Ali Rguigue dit préférer être dans l'engouement, tout en sachant raison garder, concernant l’avenir proche de la production filmique d’animation à grande échelle au Maroc. «Je pense, en voyant tous les étudiants, les réalisateurs et les scénaristes qu’on a, qu’il serait plus raisonnable de commencer par un court-métrage que de se lancer tout de suite dans une production de long-métrage», a-t-il reconnu.

«On a eu du temps et on a réussi à faire un court-métrage. Je pense qu’il y a peu, si on avait décidé de créer un long-métrage d’animation directement, même une adaptation ou une histoire facilement réalisable, on n’aurait pas pu le faire», nous a encore déclaré le producteur. «Jusqu’à maintenant, on n’arrive pas à le faire parce qu’il faut tout un travail en amont de recherche de financement. C’est l’exercice par lequel il faut commencer tout projet de long-métrage. On le voit dans l’expérience des studios internationaux : on commence par le financement, le développement, cinq à six studios qui se rassemblement autour de la création d’un seul long-métrage, c’est beaucoup de travail et d’investissement qui méritent le temps nécessaire», a-t-il ajouté auprès de notre rédaction.

«En y réfléchissant, nous n’avons pas cette taille pour lancer la production d’un long-métrage d’animation 100% marocain, ni en termes d’effectif et de ressources, ni en termes de budget. Ce qui serait intéressant est de trouver un écosystème low cost en courts-métrages et en séries exportables, pour aller ensuite vers autre chose. S’investir dans le format long est encore prématuré, à mon sens.»

Ali Rguigue

Pour le DG d’Artcoustic, «les séries d’animation sont plus intéressantes, parce qu’elles s’exportent plus facilement et il y a de la demande». «Plutôt donc commencer comme ça, au lieu d’aller faire un long-métrage avec un plus gros budget, mais qui ne sera montré pratiquement que dans les festivals, donc sans grand retour sur investissement», explique-t-il.

Ph. FICAMPh. FICAM

Pour sa part, Yassine Lahrichi a déclaré à Yabiladi qu’«il ne faut pas aller plus vite que la musique : si on accorde des subventions pour la production d’un long-métrage marocain maintenant, ce sera un cadeau empoisonné».

«Il faut respecter le passage par certaines étapes, garder les pieds sur terre, avancer doucement mais vers la bonne direction, au lieu d’aller très vite parce que le contexte peut le permettre à un moment donné, mais sans assurer une continuité durable de la dynamique, dans les prochaines années.»

Yassine Lahrichi

Concernant les séries sur lesquelles les trois boîtes travaillent en ce moment, les producteurs assurent à Yabiladi ne pas avoir lésiné sur les moyens. «On parle de budget très serré, mais on est conscients de la responsabilité que nous avons. On connaît nos capacités et nos limites à chaque étape de projet. Mais nous faisons tout pour relever le défi, car nous voulons avoir cette fierté d’être le premier maillon qui va faire tourner tout le système dans les années à venir», a indiqué Yassine Lahrichi.

S’agissant du modèle économique qui devrait être la charpente financière de l’industrie de production d’animation au Maroc, Ali Rguigue et Yassine Lahrichi défendent auprès de Yabiladi l’idée qu’il est nécessaire de commencer par «tout mettre à plat avec les différents partenaires publics, privés et institutionnels du secteur, que ce soit sur le plan financier ou même administratif». Pour le producteur, tout reste à construire et à réorganiser, dans une logique d’harmoniser les process et de les adapter aux particularités et aux attentes du cinéma d’animation ainsi que de ses professionnels, afin de créer «de bonnes bases» pour l’émergence nationale de cet art à part entière.