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Au nom de la liberté d’expression … Mon œil !

La fièvre des caricatures gagne la France. Depuis le déclanchement des événements liés aux publications danoises, on redoutait la propagation du phénomène et la contagion d’une France qui n’attend que ça. Il a fallu « l’audace » d’un journal presque en fin de vie pour que « les défenseurs de la liberté » se déchaînent contre ce monde musulman qui ne veut toujours pas comprendre « les principes de la démocratie occidentale » !

Tout a commencé le 30 septembre, le quotidien conservateur «Jyllands-Posten» publie sous le titre «Les visages de Mahomet» 12 dessins de caricaturistes. Les responsables musulmans au Danemark et les ambassadeurs musulmans en poste à Copenhague protestent. Le premier ministre refuse de les recevoir. Le 10 janvier 2006, un magazine chrétien conservateur «Magazinet» publie à son tour les fameuses caricatures. Au Moyen-Orient la machine du boycott s’est mise en route. Le Danemark, plus sensible à la pression financière qu’aux appels au respect, tente de désamorcer la crise en tenant un double discours. A l’opinion interne en montre de la fermeté et aux arabes on adresse des communiqués très modérés.

Ailleurs en Europe, les appétits ne manquent pas. Chaque occasion d’en découdre avec l’islam et les musulmans est vue comme une bulle de liberté d’expression qu’il convient de saisir. En France, il n’a pas fallu longtemps pour que la machine s’emballe. France Soir dégaine le premier, un journal agonisant qui voit ses ventes augmenter sensiblement. Pas de quoi sauver la maison, mais au moins se faire passer pour les martyres de « la liberté d’expression » au moyen d’une éventuelle Fatwa stupide.

Alors, quelle leçon tirer de cet épisode dramatique, un de plus dans les relations tumultueuses entre l’islam et l’occident ? Visiblement les protagonistes campent sur leurs positions. La classe médiatique française s’est sentie investi d’une mission pour la protection de la liberté d’expression, un principe galvaudé, dont on use et on abuse tellement la cause paraît juste. S’agit il vraiment de liberté d’expression ? Pas si sûr. Pour d’autres sujets, ces mêmes chantres de la liberté d’expression se sont autocensurés à maintes reprises. L’occident a aussi ses tabous, que les journalistes s’ingénient à justifier par un tour de passe-passe à coup de slogans « universalistes ». Imaginons un seul instant la réaction de ces défenseurs de la liberté d’expression si on remplaçait Mahomet par Moïse. Les caricatures isolées du contexte politique et social, marqués par les tensions entre islam et occident seraient sans doute insignifiantes, mais la volonté de provoquer est manifeste. Tøger Seidenfaden, directeur de la rédaction du quotidien Politiken ne dit pas autre chose « Ils ont cherché à offenser les musulmans et ils ont réussi leur coup, dit-il. Il y a volonté d'offenser, car c'est dans la logique présente de l'atmosphère politique au Danemark. La recette à succès, en politique et dans les médias, c'est de dire que le plus grand problème au Danemark, c'est l'intégration des minorités, et le plus grand groupe parmi eux est celui d'origine musulmane »(1).

On peut faire le même constat pour la France, le débat sur le voile, le traitement de l’islam par les médias, l’instrumentalisation du moindre fait divers liés à l’islam ou à l’immigration témoignent de l’engagement des médias dans un mouvement de basculement de l’opinion publique vers le rejet. Il n’est pas étonnant donc de voir les médias français se précipiter dans la polémique sous prétexte de liberté d’expression. Seul le Figaro sous la plume d’Yves Thréard s’est distingué du cortège d’applaudissement : « Le quotidien conservateur danois qui, le premier, a publié les caricatures l'a fait dans un but ouvertement provocateur, dans un pays où le débat sur la place de la religion et des traditions musulmanes est tendu. Comme ailleurs en Europe. Le nier serait mentir. On l'a vu en France avec l'épisode du voile à l'école. » (2). Ce cortège s’est focalisé sur la liberté de blasphémer, oubliant volontairement que la véritable question reste celle de l’amalgame entre musulmans et terroristes. Mettre une bombe sur la tête du symbole d’une religion n’est pas dénué de sens et c’est bien ça qui doit être le centre du débat. Peut on accepter la représentation du Christ en violeur de fillettes sous prétexte qu’il existe des prêtres pédophiles ? La liberté d’expression n’est pas un dogme, elle est encadrée par des lois et l’incitation à la haine est clairement sanctionnée par la loi.

Derrière cette polémique c’est bien l’envie d’en découdre qui anime la plupart des rédactions, depuis le 11 septembre, « les digues sémantiques ont lâchées » comme se plaisait à le répéter Philippe De Villiers, un combattant de l’axe du bien. L’épisode de la loi sur le voile a profondément marqué les musulmans de France qu’ils soient pour ou contre ce foutu voile. Le rouleau compresseur de la propagande s’est mis en place pour influencer l’opinion publique et la commission fantoche dite « Stasi » pour obtenir la loi du « 15 mars ». Cet épisode douloureux a donné lieu à tout les dérapages et les stigmatisations. La question de l’islam devient centrale, la France n’a pas de problèmes sociaux ou économiques à résoudre. Les émissions sur l’incompatibilité de l’islam et la démocratie font recette, les livres scandales comptent parmi les best sellers dans un occident avide d’argument pour accabler l’autre. Les mariages forcés font la une des journaux, l’excision devient un acte religieux d’après les experts de pacotille. Des chiffres « bidonnés »(3) sur le nombre de cas, font le tour des plateaux de télévision et sont même repris pas Bertrand Delanoë dans une émission censée glorifier la mission civilisatrice de la France coloniale. Un an plus tard la banlieue flambe. Les experts anti-voile ont découvert que le problème était d’ordre social, eux qui résumaient les problèmes des banlieues aux filles voilées et manipulées pour dissoudre la république égalitaire et fraternelle.

De l’autre côté, nous avons assisté à un déchaînement violent certes, mais ce que l’on a coutume d’appeler péjorativement les « masses arabo-musulmanes » ont été indignées et révoltées par le mépris et surtout le concentré de « non dit » qu’expriment ces caricatures, dans un contexte particulier. La violence qui a suivi témoigne des frustrations vécues par le monde musulman. L’absence de démocratie, et d’une tradition de contestation donne lieu à des débordements violents et contreproductifs. Mais ce qui doit nous interpeller c’est l’injonction faite à l’occident de ne pas représenter le prophète, un argument qui démontre l’ignorance dont font preuve certains groupes musulmans. L’opinion publique occidentale, qui entretient des rapports distanciés avec le religieux, ne peut pas comprendre cette injonction. Représenter le prophète en occident peut s’inscrire dans le cadre de la liberté d’expression à partir du moment où l’amalgame entre musulmans et terroristes n’est pas l’objectif délibéré.

Qu’avons-nous gagné après cette polémique ? Les intégristes de tout bord sont probablement les véritables gagnant en plus d’être les instigateurs de cette escalade. Les défenseurs du slogan « liberté d’expression » oublient délibérément que ce sont d’abord les journaux conservateurs qui ont produit ou publié ces caricatures, ces mêmes journaux font la promotion quotidienne de la thèse de la guerre des civilisations et s’en prennent régulièrement à l’immigration. Réduire cette affaire à la liberté d’expression c’est se moquer du monde, c’est ignorer les idéologies qui mobilisent les camps conservateurs en occident, qui sont en passe de devenir majoritaires. Dans un réflexe de « camp retranché », les journalistes occidentaux ont réagi oubliant que la liberté d’expression en occident s’exerce dans un périmètre qui résulte d’un consensus « non écrit » entre les différents groupes de pressions qui composent cette démocratie. Le ministère de l’intérieur intervient régulièrement pour empêcher Tarik Ramadan de donner des conférences. L’humoriste Dieudonné a fait l’objet de lynchage politico-médiatique pour sa critique des extrémistes sionistes. Une belle illustration des deux poids deux mesures qui ne fera qu’accentuer le fossé et le discrédit des élites occidentales

Rachid
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(1) Le monde du 04/02
(2) L’éditorial du Figaro du 03/02
(3) Les médias ont repris un chiffre « 70000 cas » que personne n’a su définir, quelle méthodologie statistique ? sur quelle période ? L’explication fournie par Isabelle Gilette-Faye directrice du Groupe femmes pour l'Abolition des Mutilations Sexuelles et autres pratiques affectant la santé des femmes et des enfants, est pour le moins scandaleuse. D’après elle ce chiffre comptabilise les femmes « susceptibles » de subir cette pratique.

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