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Le Désert : Au-delà de l'espace, une mémoire à partager

Le désert, un espace sans limites qui continue de séduire tous ceux qui veulent se l'approprier sans jamais réussir totalement. C'est autour de cet environnement désertique que s'est tenue, jeudi 16 juin, une conférence à l'Institut du Monde Arabe. Cette initiative de l'Agence pour la Promotion et le Développement des Provinces du Sud du Royaume, a réuni autour de la même table des architectes, des urbanistes mais aussi des poètes et des ingénieurs pour apporter chacun sa touche personnelle.

Ils sont venus parler d'un «désert généreux», comme l'a rappelé Selma Zerhouni qui dirige Archimédia (association partenaire de cette conférence). Mais chacun à sa manière, ses mots et surtout ses émotions pour transmettre le message. Néanmoins, tous s'accordent à reconnaître que ces territoires désertiques ne le sont pas vraiment, puisqu'ils regorgent de vie. On parle tantôt de dunes dynamiques, tantôt de Kasbahs fantômes. Mais la lueur qui brille dans les yeux des intervenants montre à quel point ils sont désormais habités par l'âme de ce désert qu'ils sont allés, chacun à sa manière, conquérir.

Un territoire à promouvoir

L'Agence pour le Développement des Provinces du Sud du Royaume a été pensée, selon Ahmed Hajji, son directeur général, comme un outil «stratégique d'aménagement du territoire». «Une plate-forme d'initiatives socio-économiques» qui pourra permettre la promotion de cette région du Royaume.

Créée en mars 2002, lors de la visite historique de Sa Majesté Mohammed VI à Laâyoune, cette entité essaye de se pencher sur les zones désertiques et pré-désertiques afin de trouver une approche régionale spécifique qui puisse répondre à leurs attentes.

Les provinces du Sud ont un emplacement stratégique qui leur accorde un potentiel aussi bien économique que social. Ces régions sont un patrimoine immatériel avec des ressources touristiques, halieutiques, culturelles et autres. «L'importance de cette région est telle qu'il faut que toute action économique dont elle est l'objet doit être pensée dans la durabilité», explique M. Hajji.

«Des oasis à restaurer, des cités du désert à protéger et un habitat insalubre contre lequel il faut lutter», Ahmed Hajji tente de cerner les priorités de cette région du Maroc tout en mettant en avant ses atouts.
Mais c'est à un poète qu'il passe le relais pour tenter de cerner ces espaces avec une mise à mot chargée d'émotions.

Moustapha Naïssabouri, poète marocain, est l'auteur d'un livre sur le désert à paraître en septembre. Il voulait avec ce travail, aller à la découverte d'un espace nouveau «qui commence là où les oasis prennent fin et les chaînes de l'Atlas s'estompent».

Imaginer le désert

Une nouvelle botanique, de nouvelles lumières, qui ont suscité l'intérêt de ce poète et écrivain. «Comment approcher le désert, loin du regard folklorique ?» se demandait-il au début de sa mission. A en croire les quelques extraits lus lors de cette conférence, le pari a été emporté haut la main.

«Le désert n'est là que pour combler un vide existentiel… le Sahara brille d'une lumière qui éclaire jusqu'au fond de nous-mêmes», les mots fusent dans la bouche de Naïssabouri et l'audience est toute ouïe.

Dans son travail, le poète n'est pas allé chercher de beaux textes qui expriment les émotions que l'on peut ressentir en entrant dans cet espace où le temps s'arrête parfois, et il y en a. « Je voulais que ce soit l'espace qui soit exprimé… c'est pourquoi j'ai cherché des textes locaux pour les insérer dans l'ouvrage», ajoute-t-il.

Il faut bien connaître ce territoire, y habiter et être habité par lui pour cerner avec des mots la beauté sauvage de «ces immensités isolées» telles que rebaptisées par Naïssabouri. Les «distances interminables» que décrit le poète, un jeune ingénieur marocain, les a parcourues pendant près de deux ans, dans le cadre d'un projet d'étude.

Construire dans le désert

Comment habiter le désert tout en l'apprivoisant. Car pour prendre place au sein de ces étendues de sables et de cailloux il faut savoir comment s'y prendre et surtout comment ne pas se faire prendre.

C'est un peu autour de cela qu'a tourné le travail de Karim Sélouane, géographe et ingénieur des Mines. Son idée est de trouver la bonne manière de «construire tout en tirant des leçons de la nature et de l'environnement».

Selon le scientifique, étudier la nature des espaces désertiques nous permet de mieux connaître l'espace qu'on veut investir. «Quand on connaît la nature des dunes dynamiques, et qu'on sait comment sont faits les couloirs de sable, on peut déjà savoir où et comment construire», explique Karim Sélouane.
Mais qui dit construire, dit aussi respecter la nature mais en plus l'architecture de la région. Dans le domaine, Salima Naji, anthropologue et architecte elle-même est une fine connaisseuse.

Auteur de «Portes du sud du Maroc» et «Arts et architectures du sud Maroc - Esquisse d'une esthétique berbère», la jeune architecte est venue aussi éclairer la lanterne de tous les amoureux du désert qui y voient plus une perle touristique qu'un patrimoine à protéger.

«Il faut voir au-delà de cet Eldorado de tous les possibles qui en attire plus d'un», commence-t-elle son intervention. Ce, sans omettre de préciser qu'elle va plus parler des vallées présahariennes, un «désert plus aménagé» qui constitue «la porte d'entrée vers les territoires de l'extrême» dont venaient de parler les autres intervenants.

«Ce qui est désolant c'est de voir justement dans ce mouvement de construction qui touche ces vallées, peu de gens se soucient finalement du patrimoine architectural… des formes urbaines sont de plus en plus importées, et les Ksours et Kasbas ne sont plus que des fantômes, creux et n'offrant qu'un cadre extérieur pour les touristes», déclare Salima Naji dans un constat amer.

En effet, souvent les nouvelles constructions érigées au milieu des espaces présahariens ne traduisent ni ne bénéficient plus des compétences des maâlems et autres experts de la région. « Il y a aujourd'hui une perte de compétences dans ce domaine. Avant, on faisait très attention aux constructions car il en allait de la survie des groupes. Aujourd'hui, la sécurité n'est plus un critère, alors on ne garde plus que les formes extérieures pour attirer encore les regards… Aucune attention n'est plus prêtée à l'environnement ou encore à l'identité locale».

Certes, le désert attire à plus d'un titre et pour plus d'une raison. Mais pour mieux le dompter il faut aller à sa découverte, afin de l'apprivoiser sans pour autant chercher à le changer. Il s'agit d'un «concentré authentique» qu'il faut garder comme tel, sans s'empêcher de «donner en partage sa mémoire collective». Le message aussi bien scientifique, poétique qu'anthropologique est passé.

Aziza Naït Sibaha
Le Matin

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