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L'art contemporain marocain à Amiens

Ils s'appellent Brahim Bachiri, Ben Bennaouisse, Hicham Benohoud, Binebine & Galanda, Bouchaïb Dihaj, Mohamed El Baz, Ymane Fakhir, Mounir Fatmi, Bouchra Kkalilli, El Mostafa Mafah, Bouchaïb Maoual, Rim Laâbi, Dounia Oualit, Selfati ou encore Yamou. Il exposent actuellement leurs œuvres à Amiens, en France. Le commissaire de l'exposition, Mohamed Rachdi, revient dans cet article sur la part de l'imaginaire dans la créativité marocaine.

À l'ère de la mondialisation, la production, la diffusion et la réception de l'art contemporain évoluent chaque jour davantage à une échelle transterritoriale. Ses interrogations et ses investigations explorent une aire transdisciplinaire. Ses acteurs (artistes, critiques, organisateurs, marchands, collectionneurs...) proviennent d'horizons divers.

Si d'aucuns craignent, dénoncent même parfois, le risque d'une uniformisation - cultivée, de fait, par certains réseaux de monstration soucieux moins de l'art en tant que tel que du pouvoir, de la gestion politico-économique-, on ne doit pas pour autant sombrer dans l'aveuglement. Un regard ouvert sur ce que propose l'art contemporain se rendra vite compte à quel point, loin d'être nivelé, l'éventail des propositions s'impose bien au contraire par sa réalité polymorphe, aussi riche et varié que complexe.

Cette profusion caractéristique de l'art contemporain revient notamment à sa capacité d'appropriation, d'assimilation et de recyclage des éléments culturels issus de différents époques et territoires du monde. S'étant doté de moyens techniques, parfois des plus sophistiqués, ayant élargi son répertoire plastique, ses intérêts artistiques et esthétiques, l'artiste contemporain semble voyager indifféremment à travers le temps et l'espace, s'offrant de la sorte un champ d'investigation illimité, s'alimentant de multiples emprunts, imprimant sa trace sur ce qu'il côtoie. Ainsi, travailler avec - et par conséquent être travaillé par - l'imaginaire de l'autre est l'un des traits les plus saillants de l'art contemporain. Ce qui génère des dialogues inédits entre des aires civilisationnelles parfois très distantes les unes des autres.

La part agissante de l'imaginaire marocain dans l'art contemporain est ce que vise essentiellement à mettre en valeur l'exposition interférences — références marocaines de l'art contemporain à travers, exemples parmi bien d'autres, quelques démarches actuelles. Il s'agit donc de montrer la valeur participative et le fonctionnement d'une trame culturelle foncièrement active parce que portée par une mémoire vive dans la création et la perception des œuvres d'artistes résolument contemporains au sein d'un entrelacs d'une multiplicité de références.

Des artistes à l'appartenance plurielle

Les artistes invités à participer à cette exposition proviennent tous du Maroc. Mais, tous vivent et travaillent en Europe. Et à vrai dire, comme tout un chacun à notre époque caractérisée de plus en plus par la mobilité et l'effervescence communicationnelle, et où tout repère identitaire est voué à l'instabilité, ces artistes se découvrent possédant une appartenance plurielle.

C'est donc, au même titre que d'autres confrères issus d'autres contrées du monde, que ces artistes s'inscrivent résolument dans la réalité présente du champ de l'art contemporain qu'ils investissent dans l'intelligente ouverture à ce qui s'y trame. Produire un art soucieux d'affirmer l'identité culturelle d'une nation ou d'une communauté particulières ne semble point être leur préoccupation. Produire de l'art tout court capable de s'adresser à tout humain, voilà la véritable visée de leur activité artistique.

Toutefois, quand bien même le désir d'ouverture est intense chez ces artistes, quand bien même est fort leur souci de coller leur production au monde où se déroule leur existence, quand bien même est grande leur hantise de la dimension universelle, un regard sur leurs propositions artistiques prouvera bien que leur besoin d'attaches au pays de provenance y travaille sans relâche. À travers maints signes, images, objets et autres détours..., les références marocaines ne cessent d'y faire retour.

C'est dire que l'errance artistique n'est pas sans référence mnésique. Aventure n'implique pas forcément rupture. Quel que soit le secteur d'investigation de chacun (peinture, gravure, photographie, sculpture, installation, performance, vidéo ou multimédia...), leur mémoire marocaine y déploie une dynamique importante en constante interférence avec d'autres références.

Mettant en évidence cette réalité, interférences permettra de mieux saisir le fait que le degré d'imagination et d'inventivité, de participation active et singulière à la fécondité de l'art et de la culture universelle - dans la garantie de toute sa diversité -, est d'autant plus intense que l'homme se sait porteur de cette faculté aussi mystérieuse que complexe : la mémoire qui articule vécu individuel et expérience collective, histoire et Histoire.

Cette exposition aidera aussi à mieux comprendre la dimension poïétique de l'art contemporain, la fertilité de son processus créatif et ses résultats esthétiques, dans le contexte d'une époque qu'agite de plus en plus le foisonnement des interrogations liées à l'immigration et à la mondialisation. Et, par conséquent, elle témoignera en fin de compte du rôle de l'art contemporain dans l'épanouissement civilisationnel par son pouvoir d'ouvrir d'infinies perspectives de rencontres, de dialogue et d'entrecroisements, d'offrir un potentiel inestimable de valeurs capables d'assurer des liens humains dans le partage et le respect des différences.

L'exposition se poursuivra jusqu'au 9 décembre 2004

Source: Le Matin

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