Menu

Le français à la sauce marocaine

La langue de Molière et de Voltaire, langue d'un de nos deux colonisateurs «protecteurs», nous a été imposée durant la période d'occupation, de 1912 à 1956 et a été héritée et assimilée tant bien que mal par une partie de la population et surtout par la frange minoritaire qui constitue l'élite économique et une partie de l'élite dite «intellectuelle» de notre pays.

Durant le protectorat, les occupants, pour leur confort linguistique, car ils avaient du mal à prononcer certains sons, jugés trop gutturaux pour leur délica­tes cordes vocales, se sont mis à franciser quelque peu la prononciation des noms de lieux, quand ils ne leur donnaient pas carrément des noms français, lusophones ou hispaniques, tels que Louis-Gentil, Petit-Jean, Port Lyautey, Mazagan, Mogador, Martil ou Cabo Negro.

Cela a donné Kénitra (anciennement Port-Lyautey) au lieu de Qnitra, Sidi Kacem (anciennement Petit-Jean) au lieu de Sidi Qacem (ou encore Sidi Qassem), Kelaa des Sraghna, avec toutes ses variantes auxquelles on devrait plutôt préférer Qelâat Sraghna, afin de coller au plus près à la prononciation locale, si tant est que l'on se décide, une fois pour toutes, à adopter des signes conventionnels pour les sons articulés dans notre langue et qui ne sont pas représentés par des lettres spécifiques de l'alphabet latin.

A ce propos, ne devrait-on pas dire «Mouqawalati» plutôt que «Moukawalati», comme on dit bien parti de l'Istiqlal et non pas parti de l'Istiklal et quand on lit Banque Al Amal, doit-on comprendre par là banque du travail ou banque de l'espoir ?

Citons à titre d'exemple le son d'entrée du vocable arabe désignant une source, généralement transcrit sous la forme «aïn», ou encore, le prénom «Ali», transcrit de façon identique comme le prénom féminin Aline, mais qui ne se prononce pas du tout de la même manière. On parlera des cheveux soyeux d'Ali ne, mais du teint basané de Ali ou encore de la caverne de Ali Baba, plutôt que de celle d'Ali Baba, des yeux bleus d'Omer, mais du regard perçant de Omar1 car le premier son exprimé dans ces mots est une voyelle, dans le cas d'Aline ou d'Orner, mais une consonne, dans le cas de Ali et de Omar et il n'existe pas, pour l'instant, d'autre alternative pour transcrire le son aïn de Ali ou de Omar.

Est-ce bien logique de transcrire Al-Harhoura avec la même lettre h utilisée pour transcrire Haha, alors que les sons sont représentés par des lettres différentes dans les alphabets arabe ou phonétique ?

Après le phénomène de l'explosion de l'utilisation des sms dans notre pays, les usagers ont pris l'habitude de transcrire leurs messages en parler marocain en se servant de l'alphabet latin, auquel ils ont ajouté le 7 (pour le h de halib «7alib» ou de Hdidane «7didane») le 3 (pour le aïn de Abbas «3abbas») le 9 (pour le qaf de Qaraouiyine «9araouiyine»). Pour la hamza, doit-on utiliser un deuxième a, avec ou sans tréma ou un e, comme pour Asmaa, Asmaâ ou Asmae ?

Il y a également, la question des adjectifs consacrés par l'usage et qui sont en train de changer, pour coller davantage à la langue vernaculaire. Doit-on dire kénitréen ou qnitri (ou kénitri), istiqlalien ou istiqlali, ittihadi ou ittihadien ? Après avoir assimilé le «Bidaoui» à côté du Casablancais, devra-t-on accepter aussi, bon gré mal gré, l'affreux «Casaoui» ?

Pourquoi utilise-t-on un double m pour Mohammed V ou Mohammed VI et plus généralement un seul m pour le Mohamed lambda ? Le double m serait-il un signe tacite pour désigner la royauté du porteur de ce prénom ?

Venons-en à présent au pluriel de certains mots arabes. On dit un cheikh, des chioukh, un adel, des adoul, une cheïkha, des chikhate, sans mettre de s pour le mot pluriel, car il est déjà au pluriel par sa forme et on ne saurait donner deux signes du pluriel au même mot. On devra dire un gnaoui, des gnaoua, une gnaouiya des gnaouiyate (la musique gnaouie ou bien gnaouiya et les musiques gnaoua et non, de façon totalement illogique comme on le trouve à lire quelquefois, les musiques gnaouies).

Le problème se pose cependant pour le mot alem (on devrait plutôt écrire âalem) qui devient ouléma au pluriel, sauf que dans le dictionnaire Littré, déjà au 17e siècle, on trouve le mot ouléma au singulier, donnant oulémas au pluriel, ce qui est inconcevable pour tout Marocain francophone et arabophone, partant du sacro-saint principe qu'un mot ne saurait comporter plus d'un signe du pluriel et que le singulier de ouléma ne peut être que alem (ou âalem) et en aucun cas ouléma. Pourtant quand un lecteur français lit «les ouléma», il y voit, à tort ou à raison, une faute d'orthographe.

Pour conclure, il semble urgent de mettre un peu d'ordre dans ce galimatias anarchique. Comment ? En instituant une académie chargée de réglementer l'orthographe des mots d'origine arabe ou amazighe utilisés en français, de façon qu'on se retrouve un peu mieux dans ce capharnaüm et qu'on crée un bon usage du français à la sauce marocaine.

Habib Al Amrani
Source: Le Soir Echos

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com