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Le Maroc est il prêt à investir dans des décharges écologiques ?

Répugnantes, dégoûtantes et surtout dangereuses pour l’environnement et la santé. Les décharges sauvages qui parsèment le paysage marocain sont une véritable honte. Pourtant, des solutions propres et efficaces existent. Propres, efficaces, mais malheureusement très coûteuses, et c’est là toute la question: Sommes-nous prêts à investir en masse dans la gestion propre et écologique de nos déchets?

En février dernier, le roi Mohammed VI inaugurait, à Rabat, une décharge contrôlée, pour remplacer celle de Oum Azza. C’est la société Sogedema, filiale du groupe français Pizzorno, qui en est le concessionnaire. Le projet avait alors été qualifié de «première africaine».

Beaucoup d’efforts à déployer
D’autres villes comme Berkane ou Kénitra se sont aussi mises à niveau en créant des décharges contrôlées. La décharge publique de Médiouna, à Casablanca, sera d’ailleurs remplacée par une nouvelle qui sera conforme aux standards internationaux. Trois sociétés sont en lice pour la gestion déléguée: Veolia, Ecomed et Techmed (cf. www.leconomiste.com). Et le phénomène a des chances de prendre de l’ampleur, compte tenu de la loi 28-00, adoptée en novembre 2006. Mais, les décharges sauvages sont encore légion, et il reste beaucoup d’efforts à déployer.

Le 4e salon EnviroMaroc a justement été l’occasion d’explorer les différentes voies qui existent. Organisé par la Coopération technique allemande (GTZ) et la Chambre allemande de commerce et d’industrie au Maroc, en partenariat avec la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), l’événement s’est tenu du 24 au 26 octobre, à Casablanca. Une quarantaine d’exposants en provenance de l’Allemagne, de la France et de l’Autriche, notamment, ont découvert les opportunités d’affaires et d’investissements du marché de l’environnement au Maroc. Au total, les organisateurs estiment à 1.500 le nombre de visiteurs, un excellent score compte tenu du caractère hyper-spécialisé de l’événement bisannuel.

Les Allemands, reconnus pour leur leadership dans la protection de l’environnement, sont déjà bien présents dans ce secteur. Plusieurs sociétés souhaitent cependant percer le marché plus avant, en proposant, entre autres, des services de gestion des déchets innovateurs. Ces entreprises ne cachent pas que le Maroc est pour elles un premier coup d’essai, qui pourrait leur permettre d’investir ensuite le marché de l’Afrique de l’Ouest, qu’elles lorgnent aussi avec beaucoup d’intérêt.

Hincol, une antenne de Hinkel International, est présente au Maroc depuis trois ans déjà. C’est elle qui a remporté le contrat de gestion déléguée de la collecte des déchets et de la décharge de la province de Larache. Pour l’instant, la société est en négociation avec les autorités pour reproduire à Larache un modèle de décharge écologique qu’elle a réalisé à Framersheim, en Allemagne.

A voir la photographie aérienne de cette décharge, on a peine à croire qu’il s’agit de déchets. Située en pleine région viticole, la «déponie», comme l’appellent les Allemands, a des airs de champ agricole. Et pour cause, il ne reste que 30% des déchets ménagers récoltés à la base, qui sont transformés en énergie et en compost. Les ménages effectuent d’abord un premier tri, en séparant les déchets de verre, de plastique, de papier et de métal des ordures organiques. Les bacs sont ensuite collectés et emmenés au centre de tri. Là, une seconde vérification est faite.

Les matières recyclables sont envoyées dans des usines de récupération, et les déchets organiques déposés dans la décharge. Précisons que la décharge de Framersheim, d’une superficie de 200.000 m2, est complètement étanche. «Il y a 21 puits d’observation autour de la déponie et depuis 1978, nous n’avons détecté aucune fuite», assure-t-on chez Hincol. Une partie des déchets organiques sert ensuite à la production d’énergie.

«Nous possédons, avec une autre société allemande, Kompogas, une technologie qui accélère le processus de fermentation de ces ordures». Le délai de fermentation passe ainsi de 50 ans à… 28 jours! Le gaz est récolté par des tuyaux qui sont connectés au réseau national. Enfin, le reste des déchets est utilisé pour faire du compost. «Depuis les trente dernières années, Framersheim a produit 3,8 millions de m3 de compost», indique le représentant de la firme allemande.

Ne reste plus qu’à convaincre les 19 communes de la province de Larache de contribuer au projet. Un défi de taille, car il faudrait d’abord dégager les millions d’euros nécessaires à sa réalisation. Un peu avare de chiffres, le représentant de Hincol indique cependant que la décharge, sans système de récupération d’énergie ni compost, coûte entre 2 et 3 millions d’euros (entre 22 et 33 millions de DH). Mais le jeu en vaut sans doute la chandelle, car en plus de protéger l’environnement et la santé des citoyens, la déponie pourrait créer beaucoup d’emplois. «Pour ce type d’installation, nous collaborons avec plus de 90 fournisseurs. Au départ, il s’agira surtout d’entreprises allemandes, mais notre souhait est de pouvoir transférer ces partenariats avec des compagnies locales».

Centre de tri
La ville de Témara, près de Rabat, se met aussi au parfum écologique. ICP, une entreprise allemande constituée en SARL au Maroc depuis 2004, ouvrira le premier centre de tri du pays. En collaboration avec la commune, il devrait entrer en service dès l’automne prochain. «La société économique est en cours de constitution», nous explique-t-on. ICP espère marquer des points avec cette première expérience, afin de pouvoir l’étendre ailleurs au Maroc.

Les habitants de Témara n’auront pas à trier eux-mêmes leurs déchets ménagers, car tout s’effectuera au centre de tri même. Les matières réutilisables (papier, plastique, verre et métal) seront recyclées. Les déchets organiques, quant à eux, seront valorisés en combustible secondaire. «Les cimentiers sont très intéressés à racheter ces matières», assure ICP. Le coût estimé du centre de tri tourne autour de 25 millions de DH.

Enfin, la société française Müller a également profité de l’EnviroMaroc 2007 pour pousser ses pions. L’entreprise spécialisée dans l’incinération des déchets dangereux est déjà bien implantée en sol marocain. Une dizaine de ses incinérateurs y sont installés, et confortent sa position de leader, surtout dans le secteur hospitalier. Mais Müller veut élargir son marché aux industries pharmaceutique, pétrochimique et agroalimentaire. «Nous possédons beaucoup d’expertise dans l’élimination des médicaments et de la peinture périmée, qui sont des déchets vraiment toxiques», explique le représentant. Et le plus beau, c’est qu’une fois calcinés, les déchets produisent une cendre qui peut être réutilisée pour la fabrication de briques! Mais là encore, il faut être prêt à mettre la main à la poche: un centre d’incinération régional, qui pourrait par exemple être utilisé par trois à cinq hôpitaux, coûterait autour d’une trentaine millions de DH, car il faut compter au minimum 2,2 millions par incinérateur.

Marie-Hélène Giguère
Source: L'Economiste

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