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Avec son TGV, le Maroc montre la voie

En déboursant 2 milliards pour implanter le train français dans son royaume - le premier en Afrique - Mohammed VI fait un choix judicieux pour le développement économique de son pays.

Les maharajahs de l'Asie du Sud-Est avaient pour habitude de s'attaquer à leurs ennemis de la plus subtile des manières : ils leur faisaient un cadeau somptueux, un éléphant blanc, dont l'entretien ruinait celui qui le possédait. L'animal était sacré, mais ne pouvait être utilisé en rien. L'expression «éléphant blanc» est passée, depuis, dans le langage courant pour désigner les grands projets d'équipement ou d'infrastructures, souvent surdimensionnés pour les besoins et les moyens des pays en développement.

Le train à grande vitesse (TGV) que la France va livrer au Maroc rentre-t-il dans cette catégorie ? Le Maroc, pour des raisons de prestige, ne s'est-il pas fourvoyé en voulant se doter d'un TGV qui va peser sur ses finances sans servir les besoins sociaux de la majorité des Marocains ? Le royaume chérifien sera le premier pays africain, et même le premier pays du Sud, à se doter d'un tel équipement. Le Maroc prend ainsi la tête d'une course symbolique à la modernité tant dans le monde arabe qu'en Afrique. La fierté nationale ne remplit pas les assiettes, mais elle mobilise les peuples et constitue un facteur de confiance. Le Maroc va donc être pionnier.

En a-t-il les moyens ? La ligne de TGV va relier Tanger, en plein développement, à Casablanca, réduisant le temps de parcours de cinq heures à deux heures et dix minutes. Le coût est évalué à 2 milliards d'euros. Et c'est, au final, supportable pour les finances du royaume, dont le PIB s'élève à 51 milliards de dollars. Le trafic de voyageurs augmente déjà de 10 à 15% par an. Le Maroc compte 1 907 kilomètres de voies ferrées, contre 58 000 kilomètres de routes et 26 aéroports. Il reçoit un peu moins de 20 milliards d'euros d'investissements directs. Or un TGV n'est pas un équipement inutile. Il a des répercussions concrètes en termes d'emploi et d'aménagement du territoire. Ainsi, le choix de passer au ferroviaire rapide est judicieux aussi bien en termes de modernisation du pays qu'en termes de développement durable.

Le déficit d'infrastructures ferroviaires en Afrique est l'un des principaux handicaps qui freinent son développement économique. Les incertitudes en termes de délais, de coûts et de sûreté qui pèsent sur les transports sont l'une des plaies majeures du continent. On pourrait même penser que ce type de projet devrait être multiplié sur toute l'Afrique. Car une fois l'infrastructure payée, le coût de l'entretien est faible et génère un surcroît d'activités. Aussi, plutôt que de réhabiliter des lignes essoufflées, pourquoi ne pas passer dans certains cas directement à la ligne TGV, un peu comme l'Afrique est passée au téléphone cellulaire en sautant l'étape du fixe ? A l'époque où la lutte contre le réchauffement climatique est une priorité stratégique - mais où il n'est pas pensable d'entraver le développement des pays émergents -, le train à grande vitesse n'est pas une lubie mais un pari raisonnable.

Pascal Boniface, directeur de l'institut des études internationales et stratégiques
Source: Magazine Challenges

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