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Comment le Maroc peut faire des économies sur la compensation

Faut-il réformer le système de subvention ? Ou le supprimer carrément ? Pourquoi et par quoi le remplacer ? Ces questions sont depuis quelques années sur la place publique et chaque gouvernement qui arrive se les pose sans jamais y apporter ne serait-ce qu’un début de réponse. C’est que l’affaire est si complexe, si sensible que personne n’ose prendre le risque de démanteler un système dont on connaît certes les limites et les contraintes qu’il fait peser sur le budget de l’Etat, mais que l’on semble préférer face à l’inconnue que représenterait son absence ou son remplacement par un autre système.

L’utilité des subventions pour une catégorie de la population est indiscutable
C’est en quelque sorte le principe de précaution qui semble prévaloir face à une réforme - réclamée depuis longtemps par les institutions financières internationales notamment - dont on ressent la nécessité et redoute les conséquences, tout à la fois.

Depuis son arrivée voici maintenant quatre mois, le gouvernement Al Fassi a, lui, nettement affiché sa volonté de réformer le système de la compensation et, semble-t-il, supprimer l’aide indirecte par une aide plus ciblée. C’est que, avec une enveloppe prévue de quelque 22 milliards de DH réservée au soutien des produits de première nécessité en 2008, c’est tout de même 4% du PIB environ qui sont injectés dans la consommation sans que l’on sache vraiment si l’objectif recherché est atteint ou pas. Ou plutôt si : de nombreuses études ont déjà montré que les couches auxquelles ce soutien est destiné en profitent moins que celles qui peuvent tout à fait s’en passer, puisque ces dernières consomment plus. C’est le caractère aveugle de la subvention!

Mais la question corollaire que d’aucuns se posent est la suivante : faut-il supprimer les subventions simplement parce que les riches en tirent plus d’avantages ? - ce qui est «logique», puisqu’ils consomment plus, c’est donc une affaire de proportion davantage qu’autre chose. Pour Najib Akesbi, économiste, cet argument, qui paraît tout à fait pertinent d’un point de vue strictement social, est néanmoins sujet à débat. «Il faut savoir ce que l’on veut : s’agit-il de lutter contre la pauvreté ou de supprimer certains privilèges ? dont bénéficient les riches», s’interroge-t-il. Et de préciser que même si, en effet, les catégories aisées de la population perçoivent le double de ce que reçoivent les pauvres, «il faut bien comprendre que cela représente malgré tout un revenu important pour ces pauvres». Selon des chiffres publiés par le ministère des affaires générales, il y a déjà quelques années, les populations riches bénéficient au titre des subventions des produits alimentaires de base de 300 DH par personne et par an, soit le double de ce qui revient, par personne et par an, aux populations modestes. «Si 300 DH ne représentent rien ou presque pour un ménage aisé, 150 DH c’est tout de même 14 fois le revenu quotidien des quelque 5 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins d’un dollar par jour», commente M. Akesbi. De ce point de vue, les subventions, contrairement à ce qui est suggéré ici et là, servent bien à quelque chose, même si, dans le même temps, elles génèrent beaucoup de gaspillage du fait qu’elles profitent aussi à ceux qui n’en ont pas besoin. «De toute façon, il n’y a pas de solution parfaite, il n’y a que des solutions moins mauvaises que d’autres», souligne notre interlocuteur.

La hausse des prix sur le marché mondial rend impossible le maintien du système actuel
Sur cette imperfection du système, Najib Akesbi opère un parallèle avec la fiscalité qui ne manque pas de pertinence. Pour lui, si les subventions sont en effet «aveugles» dans le sens où tout le monde en profite indépendamment de la situation sociale et financière de chacun, les impôts indirects sont tout aussi aveugles puisque les consommateurs, pauvres ou riches, acquittent tous la TVA. «Le pauvre comme le riche paient la même taxe lorsqu’ils achètent un kg de sucre par exemple. Pourquoi accepter le même principe au niveau de la taxe et le refuser quand il s’agit de la subvention ? En d’autres termes, si au regard des valeurs de justice sociale, on peut parfaitement estimer que la subvention perçue par le riche dans le prix du kg de sucre est “injuste”, comment ne pas considérer alors tout aussi “injuste” la taxe supportée par le pauvre à l’achat du même kg de sucre ?». En somme, la justice et l’équité ne devraient pas être recherchées ici et «piétinées» là ! Question de cohérence !
Mais plus qu’une question de cohérence, le problème aujourd’hui, avec le renchérissement des prix des matières premières sur le marché mondial, dont le Maroc est dépendant, en totalité pour l’énergie et partiellement pour les produits alimentaires, se pose en termes de capacité à mobiliser les moyens financiers nécessaires au soutien des produits de base. Tant que les charges de compensation tournaient autour de 3 milliards de dirhams à la fin des années 90, le système ne posait pas de problème particulier. Même avec des subventions atteignant les 10 milliards de DH, le système était encore gérable puisque, en définitive, ces montants provenaient des taxes que l’Etat prélevaient sur ces mêmes produits (équivalents tarifaires et TIC sur les produits pétroliers). Aujourd’hui, c’est évidemment différent. Avec une enveloppe dépassant les 20 milliards de dirhams, il y a en effet urgence à revoir les choses. En outre, avec les accords que le Maroc a signés avec de nombreux partenaires, le soutien des prix sera de moins en moins accepté ; il est donc, dans tous les cas, appelé à disparaître.

En moyenne, chaque Marocain bénéficie de 700 DH/an.
Au niveau international, de nombreux pays, confrontés aux mêmes difficultés que le Maroc, utilisent des filets de sécurité et plus particulièrement les transferts comme un moyen de redistribution et de réduction des inégalités. Certains allouent à ces filets jusqu’à 6% de leur PIB. La Turquie a pratiqué les transferts conditionnels. L’Indonésie (voir encadré) et la Jordanie ont opté pour des transferts monétaires inconditionnels. C’est cette solution que semble vouloir mettre en place le gouvernement Al Fassi. Pour Nizar Baraka, ministre des affaires générales, il s’agit de redéployer la subvention pour qu’elle aille directement aux populations nécessiteuses. Et pour y parvenir, le gouvernement compte mettre en place des prestations monétaires conditionnelles, c’est-à-dire liées à la scolarisation et à l’amélioration des soins de santé. Et le RAMED serait le levier sur lequel il pourrait s’appuyer. Selon l’évaluation de la Banque mondiale, qui pousse l’Exécutif à adopter ce système, ces aides conditionnelles, outre qu’elles permettent des économies de coûts, fournissent un revenu immédiat aux familles pauvres et les obligent à scolariser leurs enfants et leur faire subir des évaluations périodiques de santé.

Quel pourrait être le montant de l’aide à fournir aux pauvres ? Selon des simulations faites par Najib Akesbi (qui a beaucoup travaillé sur cette question), il faudrait octroyer 1 000 DH pour chaque ménage (il y en a 1 million, sur la base des chiffres officiels) et par mois. «Cela donnerait 12 milliards de dirhams par an, soit un niveau nettement inférieur à ce que l’Etat supporte aujourd’hui», estime-t-il. Dans la mesure où la compétitivité de l’agriculture marocaine est ce qu’elle est, et sachant que le prix du pétrole restera élevé, une subvention directe de 12 milliards de dirhams représenterait pour l’Etat un fardeau beaucoup moins lourd que ce qu’il supporterait s’il maintenait en place le système actuel. Bien sûr, il ne s’agit que d’une suggestion; des améliorations pourraient y être apportées, comme la modulation de l’aide en fonction de l’importance numérique du ménage, etc.

Aujourd’hui, une simple opération arithmétique permet de déduire que, dans le meilleur des cas, chaque Marocain profite, en moyenne, de 700 dirhams par an. Il s’agit bien d’une moyenne, puisque, on l’a déjà dit, ceux qui consomment plus, c’est-à-dire les plus aisés, en tirent plus de bénéfice. Cela veut dire que l’Etat est saigné (dans les conditions qui sont celles d’aujourd’hui) sans que cela produise un impact significatif sur la pauvreté. En valeur absolue, en effet, celle-ci ne recule toujours pas : elle est au même niveau qu’en 1994 et même qu’en 1985 : plus de 4 millions de personnes vivent toujours dans la pauvreté absolue.

Salah Agueniou
Source: La Vie Eco

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