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Interview croisée de deux sahraouis sur les derniers évènements à Laayoune

Suite aux derniers évènements à Laayoune, puis Smara et Rabat, nous avons cru bon de recueillir les témoignages de deux sahraouis, militants associatifs vivant en France pour le premier, et en Espagne pour le second.
Cette interview croisée nous livre deux grilles de lectures différentes mais qui se rejoignent sur les points fondamentaux.
Elle nous permet surtout d'avoir l'avis des sahraouis sur ces évènements et aller au delà des informations distillées par les dépêches d'agences, ou des articles écrits depuis Rabat, Alger ou Paris.

Lahcen Mahraoui, militant associatif vivant en France
Réda Taoujni, Président de l’Association du Sahara Marocain basée en Espagne

- Yabiladi : Quelle a été votre premier sentiment lorsque vous avez appris les manifestations de sahraouis, les dérapages, et la répression de la police ?
Lahcen Mahraoui :
J’ai tout de suite pensé à la propagande, la manipulation et l’exagération.
Pourquoi penser ainsi ? Seuls les médias algériens et certains médias espagnols connus pour leur hostilité au Maroc ont développé et commenté ces événements en leur donnant le qualificatif d’ «Intifada ».
Pour infirmer ou confirmer mon hypothèse, il a fallu que je fasse ma propre investigation et croiser les informations issues de différentes sources pour comprendre la nature de ce qui s’est réellement passé à Laâyoune, son mobile, son timing et ce qui s’est passé avant ou pendant dans d’autres villes du royaume.
De toutes ces informations je n’ai retenu que celles des témoins oculaires sûrs qui ont vécus ces événements sur place.
Ceux–ci m’ont dit que cette manifestation a eu lieu dans un quartier populaire « quartier Maâtallah » et elle a été circoncise dans une rue bien déterminée.

Réda Taoujni : Les émeutes en question étaient prévues de longues dates. Nous l’avons annoncé au mois de février dernier et la dernière fois le 6 mai. C’est pour cela que nous ne cessions de dénoncer, crier depuis des années à qui voulait bien nous entendre, mais en vain. Tout ce qui se passe est le fruit de la politique défaillante du Maroc dans la gestion de ce dossier. Concernant la répression policière, je ne peux que la condamner et exprimer mon indignation vu la barbarie des interventions. La police, au lieu de faire preuve de professionnalisme car il y avait beaucoup de méthodes pour rétablir l’ordre, s’est défoulée sur la population. L’ASM de son côté a demandé l’ouverture d’une enquête.


- Selon vous quelles sont les motivations de ces manifestants ?
Lahcen Mahraoui :
Le mobile est bel et bien le refus d’une famille du transfert de son fils emprisonné pour le motif de « trafic de drogue » depuis la prison de Lâayoune vers la prison d’Ait Melloul en banlieue d’Agadir à 550 Kms au nord.
Pour aider la famille à s’opposer à ce transfert, des mineurs, quelques voisins et cousins ont pris part à cette manifestation qui a été infiltrée par des pro Polisario pour vite, lui donner un caractère politique avec non seulement des slogans hostiles au Maroc mais aussi des troubles à l’ordre public avec des dégradations des biens publics et privés.
Il y a eu intervention des forces de l’ordre pour contenir les manifestants et assurer la protection des biens et des personnes.
Aucune personne parmi celle que j’ai eu à Laâyoune, journalistes ou membre de la société civile ne m’a parlé de dérapages.
Il y a eu quelques blessés légers comme dans toutes les manifestations où il y a de la casse et quelques arrestations.

Réda Taoujni : Il y a une part de complot avec le front polisario mais le plus grave c’est que ces personnes exprimaient avec conviction un rejet de l’administration marocaine et une haine envers le Maroc. Ils ont levé le drapeau du polisario, piétiné, déchiré et brûlé le drapeau marocain et cela à Laâyoune devant les autorités locales, la presse marocaine et internationale. Le Maroc n’a jamais rien fait pour gagner la confiance de cette frange de la population marocaine. A part le sécuritaire et les privilèges à flot remis à une poignée de soi-disant notables (ces derniers partagent le butin avec des responsables à Rabat), la population vit la misère au quotidien. Les villes sahariennes du Maroc ressemblent à des casernes, plus de flics que de citoyens… le climat est tendu au quotidien et depuis toujours.


- Ne pensez-vous pas qu’il y a des manipulations de la part du Polisario qui avait menacé le Maroc il y a quelques semaines de recourir aux armes?
Lahcen Mahraoui :
Toute cette affaire est de la manipulation car comment occulter les manifestations qui ont eu lieu à Al houceima, à Tata et qui sont d’ordre social pour ne s’intéresser qu’à celle qui a eu lieu presque en même moment à Laâyoune même si le mobile de celle-ci n’est autre qu’un transfert de prisonnier de droit commun d’une prison à une autre.
C’est l’art de la manipulation de dévier l’objectif d’une contestation pour des fins polémiques toutes autres.

Réda Taoujni : Le Front polisario a une main dans ces émeutes. Il a trouvé un terrain propice. Il l’a exploité au maximum et a prouvé qu’il était plus fort que les responsables marocains avec tout leurs services. Faut être bon joueur, on aurait aimé que le contraire se passe, c'est-à-dire à Tindouf. Mais bon avec nos responsables, il faut s’attendre au pire et très bientôt si le peuple marocain reste passif.


- Comment analysez-vous la réaction des forces de l’ordre ?
Lahcen Mahraoui :
Les forces de l’ordre doivent assurer l’ordre.
Leur réaction doit être menée avec force, détermination à chaque fois que l’ordre public est menacé.
Leur action doit tenir compte du choix démocratique et du respect du droit humain dans lequel le Maroc s’est engagé.
Les arrestations ne doivent pas être arbitraires et les responsables des troubles doivent être jugés. Et si les forces de l’ordre sont responsables d’un quelconque dérapage, elles doivent aussi être jugées.

Réda Taoujni : Ils n’ont fait que leur travail de la manière la plus amateur qui puisse exister.


- L’image du Maroc se trouve-t-elle mise à mal avec ce jeu de provocations-répressions, notamment sur la scène internationale ?
Lahcen Mahraoui :
Le Maroc a choisi l’instauration de la démocratie et des libertés d’expression.
C’est un choix courageux, les mal intentionnés tenteront toujours de le mettre à mal, mais les marocains responsables qui savent que le mot droit et obligatoirement associé au mot devoir doivent veiller à la pérennité de cette démocratie.
Cette avancée dans l’instauration de l’état de droit doit s’accomplir avec une formation citoyenne qui encourage les libertés et élimine le laxisme.

Réda Taoujni : C’est sur, le Maroc est en très mauvaise posture. Nous n’avons pas la légalité internationale sur le Sahara occidental. Aucun pays ne reconnaît la marocanité du Sahara par contre une vingtaine de pays reconnaissent la pseudo-RASD. La communauté internationale à l’unanimité demande l’organisation d’un référendum, ce que le Maroc rejette mais jusqu'à quand tiendra t’il ? Et si en plus il y a répression, intimidation… des sahraouis de l’intérieur, cela serait la cerise qui nous manquait sur le gâteau empoisonné.


- Quelles sont selon vous, les meilleures solutions à appliquer pour résoudre cette crise entre une partie de la jeunesse sahraouie remontée, et nos gouvernants ?
Lahcen Mahraoui :
La jeunesse sahraouie comme la jeunesse Soussie ou rifaine ou toute la jeunesse marocaine de toutes les régions du Maroc est la fierté de notre pays, elle est à la fois son capital et son avenir.
Elle doit assumer pleinement son rôle dans l’édification d’un Maroc moderne et résolument tourné vers la démocratie et la prospérité.
Elle a aussi un énorme rôle à jouer pour déjouer toutes les tentatives visant l’atteinte de notre intégrité territoriale.
Pour répondre à cette attente cette jeunesse a beaucoup de droits qui sont : le droit à l’instruction, à l’éducation, à la santé, au travail et à l’égalité des chances pour assumer ses responsabilités dans les différents secteurs socio-économiques, culturels et politiques.

Réda Taoujni : D’abord il faut que les responsables marocains changent totalement leur vision sur le citoyen sahraoui à qui il n’ont jamais fait confiance. Pour le reste, je préfère me garder la solution car en la rendant publique elle ne servirait à plus rien. Et la solution existe aussi bien pour le plan intérieur marocain qu’au dossier du Sahara en général.


- Si vous aviez un message à nos compatriotes sahraouis pour apaiser les esprits…
Lahcen Mahraoui :
Pour apaiser les esprits, il faut des signes forts qui feront que notre culture hassanie soit reconnue, que notre région sahraouie soit développée et que la marocanité soit notre fierté.

Réda Taoujni : Je n’ai pas de message aux sahraouis, c’est aux responsables marocains que je demanderai d’envoyer des messages politiques crédibles, loin de la langue de bois envers cette frange de la population marocaine. Et cela aujourd’hui avant demain car demain il se pourrait qu’il soit trop tard.

Propos recueillis par Mohamed - Yabiladi.com

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