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Ce que sera la Haute cour pour ministres marocains

Bientôt un tribunal pour juger les ministres coupables d’abus dans le cadre de leurs fonctions ? Voté par la Chambre des représentants, le 12 janvier dernier, le projet de loi organique 24-07 relatif à la Haute cour devrait, passées les vacances parlementaires, être proposé à l’examen chez les Conseillers. Considéré comme un geste majeur en faveur de la transparence, le futur organisme est destiné à traiter les crimes et délits commis par des membres du gouvernement.

Loin des problèmes relativement mineurs comme les cas de chèques sans provision, la nouvelle Cour aura essentiellement à traiter de faits graves perpétrés par les membres de l’exécutif dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, tels que la dilapidation ou le détournement de fonds, la corruption, la malversation ou encore la concussion.

Elle existe sur le papier depuis le référendum constitutionnel du 14 décembre 1962
Selon le projet de loi, tel qu’il se présente aujourd’hui, la procédure de saisine de cette Cour devrait être déclenchée par une proposition de mise en accusation signée par le quart de chacune des deux Chambres, tandis que l’enclenchement effectif de la procédure nécessite l’approbation des deux tiers de la première et deuxième Chambre. Une fois obtenu le nombre de voix nécessaires, l’instruction peut alors démarrer. Elle se déroule entre une Haute cour, composée de 12 magistrats professionnels et 12 parlementaires, une commission d’enquête et un procureur assisté par un groupe de soutien, toujours avec une parité entre juges de carrière et parlementaires des deux Chambres.

Si, du côté des juges, et plus particulièrement du président de la Haute cour et de la commission d’enquête, la nomination se fait par dahir, les parlementaires, eux, doivent être élus par leurs pairs à chaque renouvellement de leurs Chambres respectives. Une fois une affaire jugée par la Haute cour, le verdict peut, à son tour, faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant la Cour suprême, laquelle peut, le cas échéant, renvoyer l’affaire devant la Haute cour pour qu’elle y soit à nouveau traitée.

Il ne resterait donc plus beaucoup de temps avant de voir cette nouvelle loi publiée au Bulletin officiel. Avant d’en arriver là, la Haute cour, qui figurait déjà dans la toute première Constitution du Maroc, et s’est adaptée au gré des mutations du texte constitutionnel, aura attendu des décennies pour avoir sa loi organique, pourtant prévue par l’article 92 de la première loi du Royaume. «En 1996, avec la mise en place des deux chambres du Parlement, elle avait été amendée pour prendre en compte la deuxième Chambre, mais la Haute cour existait déjà en tant qu’institution constitutionnelle depuis le référendum du 14 décembre 1962», explique My Abdelaziz Alaoui Hafidi, juriste et chef du groupe parlementaire RNI à la première Chambre. «Il n’y a pas eu de loi organique, pour des considérations connues, notamment un blocage institutionnel qui a poussé le monarque à décréter l’Etat d’exception, qui a duré cinq ans jusqu’en 1970», explique de son côté, Najib Ba Mohamed, professeur de droit constitutionnel à l’université de Fès. «En 1970, il y a eu une nouvelle Constitution qui reprenait la Haute cour, mais, encore une fois, cette dernière n’a pas été instituée parce que, entre-temps, il y avait eu les coups d’Etat. Du coup, la deuxième Constitution a été suspendue».

La loi organique rejetée en 2004 par le Conseil constitutionnel
Après cette date, la mise en place de la loi organique continuera à traîner en longueur avant de ressurgir sous le deuxième gouvernement Jettou, en 2004, avec le projet de loi 63-00. Cette année-là, le projet de loi organique coïncide avec une autre mesure considérée comme favorable à la transparence au niveau du gouvernement : la suppression de la Cour spéciale de justice, par définition chargée de la répression des crimes similaires à ceux prévus dans les compétences de la Haute cour, mais concernant les hauts fonctionnaires ou les personnes en rapport avec les deniers publics.

Votée alors par les deux Chambres, la loi organique liée à la Haute cour trébuchera au niveau du Conseil constitutionnel sur la question de la récusation de son président. La récusation étant définie comme le reproche que l’on fait valoir de droit pour montrer l’existence d’une animosité personnelle entre l’accusé et le juge et qui ferait perdre à ce dernier son impartialité. «Les présidents de la Haute cour et du comité de la commission d’instruction n’étaient pas susceptibles de reproches, selon la loi 63-00, et c’est là la cause de l’intervention du Conseil constitutionnel, qui a considéré que ces dispositions étaient d’ordre exceptionnel et ne garantissaient pas les droits de la défense, c’est à dire que le président de la Haute cour et le président de la commission d’instruction pouvaient, au même titre que les autres membres de la Haute cour, faire l’objet de reproches», explique Mustapha Ibrahimi, député USFP et membre de la commission juridique du Parlement.

Il faudra attendre quatre ans et un nouveau gouvernement pour voir le projet de loi reprendre le chemin du Parlement, cette fois sous une forme entièrement renouvelée. «Le gouvernement, au lieu de présenter la loi avec des modifications devant lui être apportées compte tenu de la Cour constitutionnelle, a préféré déposer auprès de la Chambre un texte revu et corrigé : le projet de loi organique 24-07», poursuit M. Ibrahimi.

Sans grande surprise, la nouvelle version prévoit, pour le ministre accusé, la possibilité de récuser l’ensemble des membres de la Haute cour, une attention particulière ayant été portée aux mécanismes de remplacement des juges ainsi écartés. Toutefois, le projet de loi 24-07 n’a pas non plus été épargnée par les critiques. Premier point : la possibilité de pourvoir le jugement en cassation alors que la Haute cour est, dans le cadre de la séparation des pouvoirs, une instance qui ne dépend pas des structures judiciaires ordinaires. «La Haute cour est indépendante de l’organisation judiciaire du Royaume puisqu’elle relève du pouvoir législatif, dont, normalement, les décisions peuvent être définitives et irrévocables», explique M. Alaoui Hafidi. Ce dernier tempère néanmoins sa prise de position juridique dans la mesure où la Cour suprême n’est pas censée juger les faits, mais simplement s’assurer de l’absence de vices de forme, renvoyant dans le cas contraire le dossier «devant la même juridiction, autrement composée, pour qu’elle se prononce à nouveau sur l’affaire».

Un verrou inscrit dans la Constitution même
Cependant, les critiques les plus importantes portent sur ce qui se passe en amont du jugement et sur le nombre de parlementaires nécessaires pour déclencher le processus. «Pour déclencher une procédure contre un ministre, il faut l’approbation des deux tiers des deux chambres, soit autant que pour déclencher une révision de la Constitution. Nous considérons que cela n’est pas raisonnable», proteste Slimane El Omrani, député PJD et membre de la commission de la justice de la Chambre des représentants. Ce qui amène des députés de plusieurs tendances à considérer qu’il est pratiquement plus facile de faire chuter le gouvernement dans son ensemble que de traduire l’un de ses membres en justice. En effet, passé l’étape de la recevabilité de la motion, selon les articles 76 et 77, les parlementaires n’ont besoin que de la majorité absolue (plus de 50% de voix) pour voter une motion d’avertissement, et des 2/3 pour une motion de censure.

Pourtant, la loi a bien passé le cap de la première Chambre, sans amendement majeur. «Le grand problème que nous avions avec cette loi se situait au niveau de la Constitution et non pas de la loi», poursuit M. El Omrani. En effet, c’est la «première loi du Royaume» qui, dans ses articles 88 à 92, donne les contours de Haute cour, et qui prévoit que «la proposition de mise en accusation doit être signée par au moins le quart dans chaque Chambre, au scrutin secret, et à la majorité des deux tiers des membres la composant, à l’exception de ceux appelés à participer aux poursuites, à l’instruction ou au jugement». Elle ne laisse donc à la loi organique que le soin de déterminer le nombre de membres de la Haute cour, les modalités de leur élection ainsi que la procédure applicable (art.92). Faute de pouvoir changer la Constitution dans l’immédiat, les parlementaires ont bien été obligés d’accepter la loi organique telle qu’elle se présentait.

Une procédure trop lourde
Ainsi, le projet de loi 24-07 implique, pour entamer le simple examen d’un dossier, le vote de pas moins de 397 députés sur un total de 595, répartis entre les deux Chambres. Un système en somme pas trop différent de ce que l’on retrouve sous d’autres cieux, mais qui n’en reste pas moins extrêmement difficile à mettre en place puisque, même dans le scénario où la majorité viendrait à renoncer à protéger l’un de ses ministres, il faudrait qu’une partie de ses députés vote aux côtés de l’opposition pour lancer la procédure contre ce dernier. «C’est une procédure lourde, qui va se heurter à une difficulté matérielle pour sa mise en œuvre», indique Najib Ba Mohamed. «Chassez le naturel, il reviendra au galop : autant c’est une majorité forte destinée à protéger les ministres des coups de boutoir d’une opposition décidée à mettre en avant le spécieux et le fallacieux pour chercher la petite bête à un ministre qu’elle n’aime pas, ne reconnaît pas ou n’approuve pas, autant, au cas où, effectivement, le ministre est condamnable, la sentence risque d’être difficile à prononcer, car elle est alourdie par une procédure à scrutin majoritaire extrêmement lourd», souligne M. Ba Mohamed.

Au fond, la Haute cour ne serait-elle qu’une institution de façade ? Interrogé, Mustapha Ibrahimi indique que le mécanisme, bien que gagnant à être allégé, a quand même pour avantage de décourager les accusations fondées sur des calculs politiciens, et cela d’autant plus que la gravité des accusations entrant sous la juridiction de la Haute cour sont de nature à toucher à l’honneur des concernés, voire les mener en prison, tandis que les parlementaires qui en seraient auteurs resteraient, eux, protégés par leur éternelle immunité. Il souligne toutefois qu’aujourd’hui les mentalités ont suffisamment changé pour déclencher une réaction en cas d’abus.
Ainsi, la structure, malgré son rôle essentiellement symbolique, constituerait un avertissement suffisant pour les responsables gouvernementaux, même si, comme dans les années 70 (voir encadré ci-dessus), le cours des évènements peut toujours être influencé par le contexte.

Houda Filali-Ansary
Source: La Vie Eco

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