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Faut-il réformer la loi marocaine contre le terrorisme ?

Quinze ans de prison pour Youssef Khoudry, dix pour Othmane Raydi. Tous deux mineurs au moment de leur arrestation, en mars 2007, à la suite du suicide de Abdelfettah Raydi dans un cybercafé de Sidi Moumen, le complice et le jeune frère du kamikaze ont été condamnés lundi 10 mars par la Chambre criminelle chargée des mineurs de la Cour d’appel de Salé. Ils sont accusés, entre autres, de constitution d’une bande pour préparer et commettre des actes terroristes dans le cadre d’un projet collectif visant à porter atteinte à l’ordre public, et de participation à la fabrication d’explosifs.

Survenue un an après leur arrestation, leur condamnation est toutefois loin de monopoliser l’attention de la presse marocaine.
Au-delà des méandres de l’affaire Belliraj, qui n’en finit pas de surprendre les médias aussi bien au Maroc qu’en Belgique, le réseau Ansar El Mahdi vient de connaître une révision à la hausse des peines de plusieurs de ses membres, tandis que l’affaire des jumelles Sanaa et Imane Laghriss, condamnées en septembre 2003, s’offre une nouvelle incursion dans l’actualité avec la mise en détention préventive d’une de leurs connaissances, accusée de non-dénonciation de crime terroriste.

Sans les attentats du 16 mai, il n’y aurait peut-être pas eu de loi antiterroriste A deux mois du cinquième anniversaire des attentats de Casablanca, le constat est incontournable : aujourd’hui, le terrorisme fait partie de notre quotidien. Rien de bien étonnant alors à ce que, début mars, devant les représentants, le ministre de l’intérieur, Chakib Benmoussa, se soit interrogé sur l’opportunité d’une mise à niveau de la loi contre le terrorisme. Suggestion qui n’a pas manqué de déclencher une première salve de protestations. Prémices d’un nouveau serrage de vis sécuritaire, atténuation de la sévérité du texte ou simple ballon d’essai ? «Le ministre s’est juste posé la question», se contente-t-on d’indiquer au ministère de l’intérieur, où l’on précise qu’aucune révision de la loi n’est à l’ordre du jour.
Pourtant, votée quelques jours après les attentats du 16 mai 2003, la loi contre le terrorisme est-elle adaptée aujourd’hui à un phénomène qui n’a cessé de se développer au cours des dernières années ?

Introduite via la signature de la Convention arabe de lutte contre le terrorisme, dès avril 1998, l’idée d’une loi contre le terrorisme avait à l’origine été accueillie avec scepticisme, y compris par les autorités marocaines. En effet, quelques semaines après les attentats du 11 septembre 2001 à New York, le Maroc avait indiqué, dans un rapport sur les mesures destinées à l’application de la résolution 1373 du Conseil de sécurité de l’Onu relative à la lutte contre le terrorisme, que son code pénal national prévoyait des sanctions suffisamment lourdes pour juger des crimes terroristes. Après tout, aussi bien les assaillants de l’hôtel Atlas Asni, en 1994, que les membres de la cellule dormante d’Al Qaïda, démantelée en 2002, ont bien été jugés selon le droit pénal «ordinaire».

Face à la pression internationale, l’idée d’une loi spécifique a tout de même fait son chemin, notamment face aux impératifs de la coopération internationale. Il faudra toutefois attendre janvier 2003 et le gouvernement Jettou pour voir le Conseil des ministres adopter le projet de loi contre le terrorisme, non sans susciter une levée de boucliers.

«Nous avions constitué un comité de coordination contre le projet de loi antiterroriste, qui comprenait beaucoup de partis politiques, d’organisations de défense des droits humains, de syndicats, etc.», indique Abdelhamid Amine, à l’époque président de l’AMDH. Ce dernier souligne que les réserves du mouvement portaient essentiellement sur la définition du terrorisme, jugée trop vague, sur le recul que la loi impliquait pour un certain nombre de libertés et sur les peines proposées qui n’étaient souvent que des versions aggravées de celles prévues par le code pénal. Ironie du sort, aujourd’hui, les opposants à une réforme de la loi - assimilée à priori à un resserrement sécuritaire - ont repris à leur compte l’argument des autorités devant le Conseil de sécurité de l’Onu. Très vite, l’ampleur de l’opposition au projet de loi sera alors telle que ses détracteurs seront à deux doigts de crier victoire. «Nous étions sur le point d’obtenir gain de cause, mais, avec les événements du 16 mai, tout a changé», déplore Abdelhamid Amine pour qui «il y avait une atmosphère, une ambiance politique telle que le gouvernement en avait profité pour faire passer très rapidement et facilement ce projet de loi». Le projet de loi passera à une vitesse record par les étapes législatives et sera publié au Bulletin officiel dès le 29 mai 2003.

Une loi en contradiction avec les acquis démocratiques ?
Mise à la disposition des enquêteurs, la nouvelle loi se caractérise notamment par une garde-à-vue élargie de 8 jours (code pénal) à 12 jours, dont la moitié sans contact entre le suspect et un avocat ; la levée de l’embargo sur les perquisitions, prévu normalement entre 21h et 6h du matin ; des pouvoirs élargis en matière d’écoutes téléphoniques et de levée du secret bancaire, ainsi qu’une sanction de l’apologie du terrorisme. Toutefois, ces outils mis à la disposition des forces de l’ordre n’empêcheront pas les dépassements.

Cinq ans après le 16-Mai, les autorités marocaines, à tort ou à raison, se voient toujours reprocher les mêmes abus, quoique à une échelle plus réduite. Parmi ces écarts, les accusations d’enlèvement ont la peau dure, comme on l’a vu dans le cadre de l’affaire Belliraj. En effet, quelques semaines avant l’annonce du démantèlement du réseau par le ministère de l’intérieur, une rumeur faisait déjà état de «l’enlèvement d’islamistes», expliquant en partie pourquoi les autorités ont choisi de publier, via la MAP, la liste des personnes arrêtées, au risque de se voir reprocher le non-respect de la présomption d’innocence. Idem pour les accusations de dépassement du délai de garde-à-vue, de signature sans lecture préalable de procès-verbaux par des accusés, les allégations de mauvais traitements ou encore de recours à la torture. «La défense note que la loi est violée particulièrement dans les affaires qui ont trait à l’ordre public ou les crimes ayant trait au terrorisme», remarque Me Abderrahmane Benameur, l’un des défenseurs des politiques mis en cause dans l’affaire Belliraj, même si ses clients ne semblent pas pour leur part avoir fait l’objet de mauvais traitements.

Une révision risquée ?
Ainsi, ce n’est pas vraiment le texte de la loi contre le terrorisme qui semble poser problème, mais son application. «En fait, les problèmes que nous affrontons sont en relation avec l’application de la loi», résume Mustapha Ramid, député PJD et également défenseur des politiques mis en cause dans l’affaire Belliraj.
«Un terroriste qui a l’intention de se faire exploser, ce n’est pas la condamnation à mort qui va le dissuader.

Il va donc falloir réfléchir à d’autres moyens d’arrêter le terrorisme, et d’une manière plus démocratique, et non par de simples mesures sécuritaires ou judiciaires», explique Abdelhamid Amine. Au contraire, au lieu de décourager le crime, le recours à la peine de mort entraîne, selon Abderrahmane Benameur, plutôt une diminution des garanties légales, une situation d’autant plus grave dans le cas du Maroc qu’il s’agit d’acquis démocratiques récents.

Pas étonnant dans ce cas que certains partisans d’une révision de la loi hésitent à se prononcer ouvertement pour cette dernière. «Je pense que, quand une loi est mise en place, sa pratique quotidienne et son application à travers les jugements montrent s’il faut la réformer ou pas», argumente toutefois Me Abdelfettah Zahrach, qui a défendu plusieurs prévenus dans des affaires de terrorisme.

Il se prononce ainsi pour une adaptation de la loi à l’évolution du terrorisme dans le cadre d’un débat réunissant l’Etat, la société, la presse, le législateur, les avocats, et même les juges. «A mon avis, il faut revoir la loi contre le terrorisme dans la mesure où elle ne contredit pas les acquis réalisés par la société et l’Etat dans le cadre des droits de l’homme et de l’Etat de droit», explique-t-il, allant jusqu’à proposer de mettre fin au monopole du tribunal de Salé sur les affaires terroristes, de manière à permettre une diversification des jugements, et de là, des jurisprudences dans ce domaine.

Toutefois, tout comme la loi contre le terrorisme avait été mise en place au Maroc en grande partie sous influence internationale, une révision de la loi aujourd’hui ne risque-t-elle pas d’être influencée négativement par le contexte international, à l’heure où les Etats-Unis ont vu le président Bush opposer son veto à l’interdiction de certaines formes de torture ?

Plus prudents, la plupart des juristes interrogés privilégient une amélioration de l’application de la loi actuelle à la mise en place d’un nouveau texte, à travers des réglages au niveau des services de police et du fonctionnement de la justice. Ainsi, Mustapha Ramid se prononce pour un renforcement des outils non législatifs mis à la disposition des forces de l’ordre pour lutter contre le terrorisme en mettant en avant le manque flagrant de moyens matériels révélé lors de la course-poursuite sur les toits de Hay El Farah en mars 2007. Ce dernier insiste également sur le manque de ressources humaines au niveau des services de police, ou encore l’état des bureaux. Une idée partagée par Mustapha Ibrahimi, juriste et parlementaire USFP, qui souligne, entre autres, la nécessité de revoir certains aspects de l’organisation des services concernés. «Peut-être qu’il faudrait, suggère-t-il, réglementer davantage les différentes actions et donner plus de moyens à la Brigade nationale de la police judiciaire [BNPJ]. Ce serait beaucoup plus productif que de nouveaux textes instituant des écoutes téléphoniques généralisées, l’intervention dans la vie privée des individus».

Ainsi, la concentration géographique des instances de lutte contre le terrorisme pourrait se prêter à révision. «Lors de nos entretiens l’année dernière avec les dirigeants de la BNPJ, nous avons découvert que la loi leur donne une compétence non seulement pour Casablanca et Rabat, mais aussi sur l’ensemble du territoire national. Si un suspect apparaît à Tanger, ils doivent s’y rendre, l’appréhender, mais un laps de temps s’écoule jusqu’à leur arrivée à Casablanca. Dans ce cas-là, faut-il qu’ils emmènent avec eux le registre destiné à l’enregistrement de la garde-à-vue ?», s’interroge-t-il. Des réglages qui, selon Mohamed El Ansari, président istiqlalien de la commission de la justice à la Chambre des conseillers, devraient s’appliquer également au niveau de la justice elle-même pour garantir la transparence du processus. Autant de positions qui coïncident avec celles que le Souverain a énumérées dans son message du 4 mars aux responsables, cadres et agents des services de sécurité et de l’Administration territoriale en des termes clair. «Nous ne ménagerons aucun effort pour vous doter de moyens matériels, humains et techniques plus conséquents, propres à vous permettre de remplir vos difficiles missions», a notamment souligné le Souverain, tout en restant très ferme sur le respect de la transparence et de la légalité.

Houda Filali-Ansary
Source: La Vie Eco

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