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France : L'expérience marocaine en «guest star» à l'Assemblée nationale

A Paris, la démocratisation incontournable du Maghreb en colloque

Au numéro 126 de la rue de l'Université, l'un des principaux accès de l'Assemblée nationale française, la queue n'en finissait pas de s'allonger. Le vent glacial de ce jeudi 20 janvier n'aura pas dissuadé ceux se prêtant bon gré aux mesures de sécurité d'usage avant d'accéder au Panthéon de la démocratie. L'attente allait durer une bonne heure avant de pouvoir parvenir, dûment badgé, au deuxième sous-sol de l'Assemblée, où la salle 6217 abritait un colloque où il s'agissait de débattre voire de disséquer une «incontournable démocratisation du Maghreb».

Ahmed Charaï directeur du journal électronique «lobservateur.ma», support on line organisateur de la rencontre, en association avec l'hebdomadaire «La Vérité» n'en est pas à son premier défi parisien.

En janvier 2004, dans la capitale des lumières et les murs de l'Institut du monde arabe, il organisait un débat dédié à la révolution douce des Marocaines fortes d'un tout nouveau code de la famille. Un an plus tard, jour pour jour, c'est à l'Assemblée nationale que «Lobervateur.ma» a choisi de faire se rencontrer maghrébins et français pour «un débat sans tabou», forcément passionnel parce que jetant une lumière crue sur la démocratisation au Maroc, en Algérie et en Tunisie, sujet culte des desk «Maghreb» des rédactions parisiennes.

«Nous avons retenu deux axes pour ce colloque. D'abord la construction démocratique où il s'agissait d'identifier les difficultés apparentes d'une telle construction démocratique et surtout mettre en exergue les obstacles sociétaux à cette démocratisation, de l'absence d'élites crédibles, aux différents archaïsmes en passant par le poids du fait religieux dans la sphère publique.

Ce dernier point est d'autant plus important que les trois pays ont des attitudes très différentes face à l'islamisme politique. Quant au deuxième axe, il est consacré aux droits humains, une occasion de faire le point sur la situation générale des droits de l'homme dans ces trois pays du Maghreb que sont le Maroc, l'Algérie et la Tunisie.

En fait, à travers ce colloque, notre objectif était d'initier un débat visant à faire émerger les problématiques communes ainsi que celles spécifiques à chacun des trois Etats et d'offrir des pistes de réflexion allant au-delà des discours convenus», explique A. Charaï, visiblement satisfait de son très joli parterre d'intervenants.

D'Hubert Védrine l'ancien ministre socialiste des affaires étrangères à Adeline Hazan député européenne battant pavillon PS et membre de la commission des libertés publiques, de Souheir Belhassen vice présidente de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme à Driss Benzekri, rescapé des années de plomb devenu président de l'Instance équité et réconciliation en passant par l'Algérien Omar Bendera l'ex-directeur de la banque nationale sous le gouvernement de Mouloud Hamrouche, le spécialiste Maghreb qu'est Rémy Leveau ou encore l'Istiqlalien quadra en vue, Nizar Baraka, l'affiche était plutôt belle pour un débat sans concession.

Accepter l'idée des démocraties émergentes

" On oublie souvent de dire que la démocratie est un processus historique et sociologique. Il y a comme une sorte d'amnésie sur la façon dont la démocratie s'est instaurée dans nos sociétés à nous, c'est à dire de manière difficile et au prix de révolution sanguinaires. Il faudrait accepter l'idée de la démocratie émergente au même tire que celle convenue aujourd'hui des économies émergentes ". L'ancien locataire du Quai d'Orsay, Hubert Védrine, plante le décor, résolument pragmatique, aux antipodes d'un discours politico-démago.

" Il faut sortir des slogans et examiner les moyens d'exploiter le potentiel de démocratie qui peut exister à tout moment dans toute société. Il ne s'agit surtout pas de confondre technique démocratique et culture démocratique, sachant que la démocratisation ne s'impose pas de l'extérieur et que c'est aux responsables maghrébins de prendre en charge ce processus ".

Pas de modèle démocratique clé en main, prêt à être appliqué donc, mais une essentielle prise en charge d'un destin démocratique plus incontournable que jamais par les gouvernants et les peuples du Maghreb eux-mêmes. " Ce qui n'empêche pas de faire de la démocratie un espace commun, un échange au quotidien entre le Nord et le Sud ", soutient Rémy Leveau, professeur émérite à l'Institut d'études politiques.

Ce spécialiste du Maghreb est prompt à le reconnaître : depuis la rive nord de la méditerranée, on ne veut percevoir que les mouvements islamistes alors que " d'autres courants d'idées fonctionnent face à des pouvoirs qui peuvent être autoritaires et qui n'ont pas su résoudre l'équation de l'ouverture politique ".

" Au Maghreb, il y a aujourd'hui des sociétés où le consensus des élites fonctionne sur fond de renonciation de la violence de la part de l'Etat et dans la gestion des relations entre gouvernants et gouvernés. En témoignent l'expérience marocaine dans sa gestion des années de plomb et la fin de la guerre civile en Algérie ".

" Oui, mais à condition que l'on cesse le discours selon lequel nos pays ne sont pas encore mûrs pour la démocratie exactement de la même manière que l'on disait que nos sociétés n'étaient pas encore prêtes pour l'indépendance ", s'exclame Omar Bendara, ex-directeur de la Banque Nationale d'Algérie du temps d'un Hamrouche premier ministre. L'homme est en colère. Il fustige ces élites maghrébines " serviles et courtisanes " dans des sociétés " en mouvement, souvent en avance sur leurs dirigeants " et se prend à rêver de ces " forces souvent isolées et qui ne seraient plus baillonnées ".

C'est bien de l'autoritarisme dont il est ici question. Trait distinctif des pays du Maghreb en quête de démocratie, alors que l'émouvante intervention de Souhair Belhassan décrivant un vécu tunisien douloureux des militants de la liberté et de la démocratie n'en finissait pas de résonner? La député européenne PS Adeline Hazan s'élève contre une telle généralisation et verse son témoignage au dossier de l'incontournable démocratisation au Maghreb, et ce au terme d'une mission parlementaire effectuée au Maroc en novembre dernier.

" J'ai pu toucher du doigt le développement en termes de démocratie en terre marocaine. J'ai pu aussi constater que ce pays fait le travail nécessaire pour achever sa transition démocratique. De plus, l'expérience de l'Instance Equité et réconciliation dont j'ai rencontré les membres est unique et essentielle. Je puis vous dire que le Parlement européen l'encourage et la suit de très près ".

Sourire timide d'un Driss Benzekri qui annonçait quelques instants auparavant que le deuxième round des auditions publiques et diffusées en direct à la télévision des anciennes victimes des années de plomb allaient se poursuivre durant le mois de février, en parallèle avec des tables-rondes thématiques réunissant chercheurs, politiques, acteurs sociaux, sur le thème de la démocratie et des nécessaires réformes.

" Il est important de revisiter le passé pour comprendre et démonter les mécanismes de la répression et les fondements de l'impunité. Dans le même temps, il est primordial de proposer une réforme de l'Etat avec en filigrane des garanties constitutionnelles, juridiques et politiques pour un véritable plus jamais ça ", affirme l'ancien détenu politique avant de s'interroger sur " le rôle de la justice transitionnelle dans le renforcement de la démocratie ".

" Renforcer la démocratie, à condition de ne pas rester prisonnier du passé ", renchérit l'Istiqlalien Nizar Baraka qui fera un bilan concis et sans langue de bois de la transition marocaine. " Des acquis ont été réalisés. Il existe bel et bien un point de rupture avec le passé. Je le dis sans complexes, le Maroc a fait des avancées certaines en matière de démocratie mais des menaces pèsent sur la construction démocratique, tel le rejet du politique, le désengagement des élites, le problème du développement humain ou encore la tentation du sécuritaire et une certaine logique éradicatrice. Aujourd'hui, il est urgent d'accélérer le rythme de la transition qui n'en finit pas de durer ".

Conclusion de celle qui siège sous la coupole du Parlement européen, Adeline Hazan : " Il ne faut surtout pas minimiser l'importance de la réforme du statut de la femme marocaine. Que le Maroc ait réussi la mise en œuvre du principe de l'égalité entre l'homme et la femme au sein de la famille est bien la preuve d'un pays qui veut se démocratiser et mène ses réformes de l'intérieur ".

Narjis Rerhaye
Source : Le Matin

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