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Congrès mondial amazigh: «Rendez-nous ce qui nous appartient!»



Entretien avec Belkacem Lounès, président du Congrès

. La culture berbère, ce n’est pas du folklore
· Les Amazighs, vous avez dit des racistes!

Les propos de Belkacem Lounès sont parfois très virulents. Ce Kabyle représente la ligne des durs dans le mouvement amazigh. Il considère que la seule manière de rétablir le peuple berbère dans ses droits est de lui accorder une autonomie. Dans son discours, on sent le deuil profond d’une Kabylie en quête de liberté. Mais du côté marocain, la vision n’est pas aussi radicale.



· L’Economiste: Comment évaluez-vous la situation de la question amazighe au Maroc?

- Belkacem Lounès: Le vrai et le plus sûr acquis, c’est que cette question est désormais incontournable sur la scène marocaine. Aucun gouvernement, aucun parti politique, même frappé de surdité et de cécité, ne peut ignorer la problématique amazighe aujourd’hui dans ce pays. Mais ce que nous constatons c’est que, au lieu de changer radicalement de position en décidant honnêtement et sérieusement de prendre en charge le problème, les autorités optent tantôt pour l’occultation, l’interdiction, la répression, tantôt pour l’hypocrisie qui consiste à dire «oui» tout en multipliant les blocages à tous les niveaux.

Ainsi, lorsque les autorités concèdent quelques avantages, c’est pour mieux agir concrètement pour les faire échouer.
Par exemple, on décide d’enseigner tamazight mais le ministère de l’Education nationale bloque la distribution des manuels scolaires, la graphie tifinaghe est officiellement réhabilitée mais des panneaux de signalisation écrits en caractères tifinaghs sont sauvagement arrachés à Nador, on dit que l’identité amazighe est un des principaux fondements du Maroc, mais l’amazighité demeure exclue de la Constitution et du champ institutionnel.

· Tenez-vous toujours au principe de l’autodétermination?

- En tant qu’ONG, notre instrument de travail c’est le droit international dans lequel figure en bonne place le droit des peuples à l’autodétermination.

Il est du devoir de chaque Etat et de chaque ONG de le défendre. Tel qu’il est défini par les chartes et conventions internationales, il signifie la promotion de la liberté pour les personnes et pour les peuples et le refus de la domination, sous quelque forme qu’elle soit. Il convient donc parfaitement à notre situation et à nos objectifs.

· Croyez-vous que l’autodétermination est réaliste après des milliers d’années de brassage culturel?
- L’histoire nous enseigne que tout acte de rejet d’une situation de domination et toute volonté de restaurer sa liberté se heurtent aux intérêts du dominant.
Et pour lui, tous les prétextes, tous les moyens sont bons pour empêcher ou retarder l’issue de la lutte. Notons bien que le projet des Amazighs de restaurer leur souveraineté n’est pas le fruit d’une folie mais bien le résultat du déni de leurs droits.
Curieusement, tous les Etats nord-africains parlent de brassage culturel mais sans jamais expliquer comment ils passent de cette pluralité linguistique et culturelle, bien réelle, à leur définition de l’identité nationale fondée uniquement sur l’arabité et l’islamité? Pourquoi la Constitution ne reconnaîtrait-elle pas ce «brassage», cette diversité culturelle et linguistique du Maroc? Pourquoi 4 chaînes de TV en arabe (sans compter les chaînes satellitaires des autres Etats arabes) et pas une seule en tamazight? Pourquoi des centaines de lieux d’apprentissage et de diffusion de la langue et de la culture arabes et presque rien pour tamazight? Pourquoi des centaines de conférences, colloques, séminaires nationaux et internationaux sur l’arabité et presque rien sur l’amazighité? Etc, etc.
Pour les pouvoirs en place et le lobby panarabiste, le «brassage» signifie certainement, non pas reconnaissance et promotion de la diversité culturelle mais bien assimilation forcée des Amazighs à l’identité arabe.
Quant à l’intégration mondiale, les Amazighs ne la conçoivent pas non plus comme le renoncement à leur âme. Ce qui ne les a pas empêchés de contribuer, de manière significative, à enrichir le patrimoine universel, dans les domaines des arts, des sciences, des religions, du sport, etc.

· Le débat sur la question amazighe est très passionné. Pourquoi?

- Le problème, c’est aussi que beaucoup d’arabophones, souvent d’ailleurs d’origine amazighe, sont encore sous l’emprise de plusieurs décennies de conditionnement, fait de falsifications de l’histoire et de la réalité. Trop peu de Marocains connaissent la richesse historique et culturelle de leur pays.
Il est à la fois curieux et paradoxal que lorsqu’il s’agit de défendre une cause arabe moyen-orientale, il y a foule mais pas grand monde lorsque ce sont des Amazighs qui reçoivent les coups! Même les intellectuels observent un mutisme total.
Ajoutons à cela la propagande haineuse des arabistes et des islamistes (notamment dans certaines mosquées et certains journaux et même à l’école) qui diffuse l’idée fallacieuse que les Amazighs sont des racistes et même des Juifs! Ce qui suscite un rejet et une peur insensés chez certains. Ajoutons à cela la manipulation de la religion, dans le but d’amalgamer l’islam et la langue arabe pour culpabiliser les Amazighs. Ainsi, certains tentent de faire croire que refuser l’arabisation revient à être contre l’Islam. En définitive, très rares sont les amazighophones capables de débattre sereinement de cette question.
En même temps, les jeunes générations d’Amazighs qui voient leurs droits et libertés bafoués quotidiennement, sont impatientes. Elles en ont assez des injustices et du mépris supportés pendant trop longtemps.
En réalité, il ne devrait pas y avoir de «débat» sur la question amazighe car on ne peut soumettre un droit fondamental comme le droit à la vie ou le droit à sa langue maternelle à avis d’autrui.

· Alors, pensez-vous que la question doit être traitée sous son angle culturel ou politique?

- Le problème est que pour les arabistes au pouvoir, la culture signifie le folklore.
Nous sommes certes fiers de notre Ahidousse, Ahouach et autres chants et danses traditionnels que nous voulons préserver et développer, mais notre culture ne se limite pas à cela.
La culture, c’est le mode de vie. Ce que veulent les Amazighs, c’est restaurer leur droit à leur identité dans sa plénitude et instaurer un projet de société fondé sur les valeurs ancestrales amazighes tout en étant ouverts sur la modernité et l’universel.
L’instauration d’un véritable Etat de droit et la promotion des valeurs de démocratie, de laïcité et de respect des droits humains sont les objectifs des Amazighs.

· Comment faire?

- Dans l’immédiat, tout passe par la reconnaissance constitutionnelle du tamazight et de l’amazighité du Maroc. Le reste en découlera en terme de programmes de réhabilitation de l’histoire amazighe, un plan de rattrapage économique en faveur des régions amazighes, la mise en valeur du patrimoine culturel, y compris les savoirs et savoirs-faire amazighs, l’enseignement généralisé de la langue amazighe et son institutionnalisation, la diffusion par tous les moyens d’une culture de la démocratie et des droits humains.

Propos recueillis par Nadia LAMLILI

Source: L'Economiste

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