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Moumen Diouri, dernier des exilés politiques, rentre au pays

“Je ne regrette rien”

Moumen Diouri, le dernier opposant marocain d’envergure, a obtenu son passeport marocain et compte rentrer à la mi-novembre. Il a derrière lui plus de 30 ans d’exil et de militantisme radical. Il affiche aujourd’hui ses sympathies islamistes, mais il affirme qu’il ne fera plus de politique. Mais qui sait?

Ce matin du 6 août 2004, un homme de taille moyenne, assez robuste, aux cheveux et à la barbiche plus sel que poivre, marche tranquillement sous la canicule parisienne. Il se rend au Consulat du Maroc à Pontoise, dans la grande banlieue de la capitale française. On voit, à sa démarche, les stigmates d’une vie pleine d’épreuves, mais la chaleur ne le dérange pas. En réalité, il ne la sent même pas. Il est trop heureux pour penser à ces détails.
Cet homme, c’est Moumen Diouri, natif de Kenitra et fils de résistant. Il est connu dans le monde entier comme un opposant très turbulent, il a bourlingué des années durant, il a visité de nombreux pays, rencontré des personnalités dont deux présidents américains, Jimmy Carter et Bill Clinton, mais il lui manque une chose qu’aucun honneur, aucun hommage, aucune décoration ne peuvent remplacer : son pays, qu’il n’a pas vu depuis près de 32 ans. Après le retour d’Abraham Serfaty, en 1999, c’est le dernier grand exilé politique marocain. Rami et Motii jouant dans la catégorie au-dessous.


Rafle

Moumen Diouri, 66 ans, circulait avec un passeport de réfugié politique depuis son arrivée en France, en 1971. Les autorités marocaines n’ont jamais voulu lui donner un passeport qu’il demandait sans réel espoir.

L’histoire de Moumen Diouri, compagnon de lutte de Cheikh El Arab, et camarade de Mehdi Ben Barka, a commencé en juin 1963 car il a été arrêté lors du premier “faux complot” imputé par le régime à l’UNFP (Union nationale des forces populaires). Des dizaines de militants sont pris dans cette rafle massive. Parmi eux, un certain Abderrahmane Youssoufi et Ahmed Benjelloun, actuel secrétaire général du Parti de l’avant-garde démocratique et socialiste. Moumen Diouri est condamné à mort en mars 1965 pour complot contre la monarchie. Cette année avait vu l’explosion de la première insurrection casablancaise, réprimée dans le sang. Moumen Diouri précise : « Un millier de morts dans Casablanca seule ».

C’est grâce à l’amnistie prononcée en avril 1965 et qui bénéficiait aux émeutiers casablancais qu’il sera libéré : « Cette amnistie, contrairement à celle dont ont bénéficié les collaborateurs acoquinés avec le Pacha Thami El Glaoui ou le sultan potiche, Mohamed Ben Arafa, n’a pas été publiée au Journal officiel ». Ici commence une parenthèse assez floue dans la vie de Moumen Diouri, qui reste lui-même discret sur ces années 1965-1971. Il a certainement bourlingué, car on le voit mal se convertir à l’inaction.

On ne le retrouvera donc « officiellement » qu’en 1971, en France. Moumen Diouri, qui publie brûlot après brûlot contre la monarchie et le roi Hassan II, entre définitivement dans la peau de l’opposant irréductible qui ne cessera jamais d’activer. D’abord sous la bannière de l’UNFP, puis de l’Option révolutionnaire et même sous des couleurs insolites, celles de l’islamisme. Toutefois, Moumen Diouri restera toujours une espèce de franc-tireur, un exilé atypique. Il écrit, par exemple, cela est une lutte individuelle.


Acharnement

Et ses livres sont des charges au vitriol contre le pouvoir marocain. De « Réquisitoire contre un despote » à « À qui appartient le Maroc », paru en 1992 chez l’Harmattan. Il donnera une constante migraine aux services marocains et le roi Hassan II aurait bien aimé qu’il se taise un peu. Parce qu’il ne fait pas qu’écrire des livres, il a rédigé, en 1992, une constitution islamique pour le Maroc. C’est plus que de l’audace, c’est de la suite dans les idées, voire de l’acharnement. On est bien loin du jeune et fougueux révolutionnaire marxisant, il a troqué la phraséologie marxiste pour la logomachie islamiste.

Accusé, en France, de contacts avec des réseaux terroristes œuvrant pour la déstabilisation du Maghreb, il est brièvement expulsé de France vers le Gabon, un pays ami traditionnel du Maroc. Selon l’expatrié involontaire, les accusations françaises ne tenaient pas la route : « Je venais de donner le manuscrit de mon livre « À qui appartient le Maroc » à mon éditeur. J’ai alors rencontré le secrétaire général du ministère français de l’Intérieur, qui m’a dit de retirer mon manuscrit et de renoncer à le publier. Moumen Diouri refuse : « Je ne négocie pas sur les principes ». Son interlocuteur lui annonce qu’il va l’expulser vers le Gabon. M. Diouri n’en croit pas un mot, il est sûr qu’on va le livrer aux autorités marocaines.


Remous

Le livre « À qui appartient le Maroc » sort en librairie. Cela avait créé tellement de remous qu’on m’a accusé de porter atteinte à la sécurité de la république française. Le procureur de la République avait marqué sa stupéfaction à l’audience : « On nous donne 350 pages d’accusation contre M. Diouri, mais il n’y a aucune preuve à l’appui. Explication de l’auteur : «C’était un prétexte trouvé par Philippe Marchand, ministre de l’Intérieur français en 1991, pour m’expulser. J’y suis resté 26 jours durant lesquels des négociations ubuesques étaient menées entre capitales pour me trouver un pays d’accueil, car Omar Bongo estimait qu’il ne pouvait pas garder un innocent». Moumen Diouri, qui avait cru, avant d’atterrir au Gabon, qu’on le mettait dans un avion pour le Maroc, clame qu’il habite en France et qu’il ne veut pas aller ailleurs. Moins d’un mois après, il est de retour à Paris. La France entière avait connu manifestation sur manifestation pour exiger son retour. Driss Basri était un spécialiste dans ce type de cafouillages qui ternissaient l’image du pays. Les services marocains feront tout pour noircir sa réputation en rappelant régulièrement son train de vie « fastueux », d’autant plus qu’il occupe un appartement luxueux à Neuilly, la ville la plus cossue de la région parisienne.

C’est cet homme-là qui se rend ce 6 août 2004 au consulat marocain de Pontoise pour y rencontrer Mohamed El Hansali, le Consul qu’il loue pour « sa politesse, sa compétence et sa finesse qu’il a gardées de son ancien poste à l’UNESCO ».

Moumen Diouri ressortira une heure plus tard du consulat avec son passeport flambant neuf. Il est heureux, c’est un euphémisme de le dire.« On ne m’a pas posé de condition à la délivrance de mon passeport, personne ne m’a demandé à aucun moment un quelconque devoir de réserve ni aucune autre demande ». Il y a 3 ans, pourtant, Moumen Diouri avait demandé ce passeport, pensant que les choses avaient changé. Elles n’avaient pas changé, en ce qui le concerne. Ainsi, l’ambassadeur du Maroc Hassan Abouyoub lui avait demandé, à cette époque, « d’accompagner ma demande de passeport d’une lettre d’excuses ». Il refuse ferme : « Il y en a d’autres qui l’ont fait, c’est un choix personnel, je ne fais de morale à personne ».

C’est le même Hassan Abouyoub qui le rappellera 3 ans plus tard : « J’ai reçu des consignes pour vous délivrer un passeport, vous pouvez le retirer dans le consulat de votre choix ». Une parenthèse de 31 ans est en train de se refermer.

La presse marocaine, partie d’une dépêche AFP (Agence France Presse), avait écrit que son passeport lui avait été délivré « pour des raisons humanitaires ». Moumen Diouri a bien un fils, Amine, Docteur en économie. Il s’est marié à Casablanca le 14 août 2004, mais M. Diouri n’assistera pas à cette noce. « J’ai lu, comme vous, la dépêche AFP qui parlait de ces « raisons humanitaires », je pense que c’est parce que l’Instance Équité et Réconciliation a demandé au Roi de me faire donner un passeport. Je n’ai pas personnellement déposé de demande. Mais je suis tellement heureux d’avoir mon passeport. Il m’a suffi de photos d’identité et de mon titre de séjour ».


Résistance

Le fait qu’on n’ait assorti le droit de rentrer de Moumen Diouri à aucune condition le comble de satisfaction et, surtout, cela représente pour lui une preuve supplémentaire de l’évolution positive du Maroc. « Ce régime ne ressemble en rien à celui qui l’a précédé. Ce sont deux mondes entièrement différents. J’observe le Maroc du Roi Mohammed VI depuis 5 ans, je vois que ça avance; lentement, peut-être, mais ça avance. Il y a des éclaircies. Moi, j’ai obtenu un passeport parce que j’y ai droit, en tant que citoyen, on a respecté ma dignité ».

Le Maroc a changé, certes, et dans deux mois, quand il aura mis la dernière main à sa future demeure, Moumen Diouri rentrera au pays. Que compte-t-il y faire ? «Je compte m’y installer définitivement, je serai au pays à la mi-novembre. Mon passé ne me permet pas le contraire. Je suis un citoyen marocain qui n’a jamais cessé de se battre pour la démocratie, ce n’est pas le moment d’être ailleurs. Je suis conséquent, j’aime le Maroc, il s’y passe des choses et c’est là-bas que je dois être. Je suis confiant en l’avenir de mon pays, je ne regrette rien. Si la jeunesse marocaine respire librement aujourd’hui, c’est grâce à notre résistance et à nos luttes ».

Il n’est pas homme à prendre une retraite, même s’il nous l’a affirmé catégoriquement, et il a des amitiés islamistes marocaines qu’il précise volontiers. « J’ai beaucoup de sympathie pour le PJD et Al Adl Wal Ihsane, mais ça ne veut pas dire que je veux adhérer à un parti ou un autre. J’ai été l’un des membres fondateurs de l’UNFP, c’était moi qui harcelais la gauche du parti de l’Istiqlal pour qu’elle fasse scission et crée l’UNFP. Maintenant, j’ai fait mon temps, je ne veux plus m’impliquer en politique, place aux jeunes et j’espère que d’autres leaders en feront autant ».

Toutefois, il tient à faire passer un message, « Les Marocains doivent s’unir. Tout individu qui tente de diviser notre peuple veut le détruire. Il n’y a qu’un moyen, pour faire avancer le Maroc vers le développement et permettre de réaliser des réformes : l’union de tous les Marocains ».

Si on ajoutait la démocratie à l’union, cela nous sauverait peut-être. Avec le retour de Moumen Diouri au Maroc, toutefois, l’ancien Maroc se dissipe lentement, trop lentement, nous semble-t-il parfois. Voilà pourquoi l’essentiel est qu’un terme ait été mis à la pénible odyssée de Moumen Diouri, qui nous coûtait très cher en termes de réputation.

Amale Samie
Source : Maroc Hebdo

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