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Les Marocains «Haggara» et «Harraga»

«Haggara» et «Harraga», jeu de mots? Plutôt aveu de maux. Maux de tous les jours. Pas nécessairement identifiables par des chiffres, des diagnostics «scientifiques» ou des projections «futuristes». Pour ces maux, anthropologie et psychologie sociale peuvent, certes, être appelées à la rescousse. Pour confirmer l’évidence : le tiraillement de la personnalité du Marocain entre «Al Hogra» (pas exclusive aux voisins algériens!) et Al Hrigue» (mirage pas uniquement pour les jeunes paumés et désespérés de Fqih Ben Saleh ou de Ben Guerir!).


Deux catégories de Marocains tiraillés entre ces deux «projets de vie», davantage chez l’élite que chez le pêcheur ordinaire. Mais, profondément chez les deux. L’appréhension des «Haggara» et des «Harraga» pourrait en tenir compte en s’effectuant graduellement.

Par étage. Depuis les niveaux fort explicites, chez le citoyen ordinaire, victime de la «hogra» ambiante et recrue naturelle des pateras de la mort, jusqu’à des hauteurs où la subtilité et la sophistication des «bien nés» et des nantis cachent et rend plus «policés» ces maux, ces deux maux, quintessence de la «spécificité» marocaine.

Il y a les Marocains qui sont constamment animés d’un sentiment de puissance et d’impunité face à ce pays, à ses ressources et à ses habitants. Qu’ils aient ou non le pouvoir de leur posture hautaine, arrogante et rapace, ils sévissent dans ce pays comme si tout leur était dû. Ils sont propriétaires du Maroc et ne se perçoivent pas autrement. En langage underground des jeunes de nos villes on les appelle «Al Kazzaza» («ceux qui n’en démordent pas » ou qui ne lâchent pas prise tels des fauves).

Ils sont de toutes les tribunes. Ils sont de toutes les combines, de toutes les curées et de toutes les impostures. Comme les intendants insatiables d’une ferme bénie et florissante mais fragile et sous hypothèque du fait de son statut de propriété indivisible. Ils font et défont les carrières, celle du pays en premier lieu. Ils poussent du coude et de l’épaule les laborieux et les honnêtes dans une course effrénée vers la puissance et la rapine. Ils maudissent de tous les Dieux le jour où le lexique international a cédé une place de premier rang au concept de la «bonne gouvernance». Ils possèdent l’art magique d’étouffer la sonorité discrète de la «méritocratie» par l’ensorcelante de la «médiocratie». Telle une déferlante, ils hypothèquent à jamais les chances de ce pays tenues à bout de bras par ses jeunes et fragiles ressources humaines, les seules durables. Ils dévoient et infectent toute vision et toute ambition si respectables ou si légitimes soient-elles! Ils se nourrissent de la «Hogra» : ils sont des Marocains «Haggara» du reste des Marocains.

L’auto-Hogra ordinaire

Leur «Hogra» ravageuse (depuis des décennies) participe, à n’en pas douter, aux drames de nos jeunes «Harraga», comme aux capitulations de nos meilleurs cerveaux qui prennent le large vers ce Nord si avide de jeunesse, de sang neuf et de prouesses. Peu leur importe le sort de ce pays, ils sont «Harraga» dans l’âme et dans la tête : ils se projettent ailleurs, vivent, par procuration ou «téléportation», ailleurs, tout en sévissant, physiquement, ici, dans la Ferme-Maroc...Certains prennent même les devants en s’aménageant une base de repli, ailleurs, au cas où cette ferme baisserait de rendement pour eux et pour leurs protégés et semblables...Ils ont l’art, les moyens et la capacité de contorsionniste pour obtenir, ici, toute position : autorité, leader, élu, décideur, ministre, spécialiste, conseiller, tribun, Zaïm, prêcheur public et même prophète ou «militant» prétendant défendre la veuve et l’orphelin..!
Mais nos «Haggara» gagnent au change, ou en bout de ligne, l’irréparable hélas : l’auto-hogra de nos «Harraga» ordinaires... Tout enseignant dans ce pays n’est-il pas effaré par ce manque de confiance en soi qu’il observe chez les jeunes, plus enclins ainsi à enterrer l’espoir qu’à le faire fleurir? Comment espérer en un pays qui vous diminue, vous méprise et adule par contre les «Haggara», usurpateurs partout et dans tout?!

Avec le peu d’ambitions qu’on puisse avoir dans ce pays en tant que jeune, l’on est vite happé par la désillusion active que diffuse cette Hogra, cet abaissement généralisé. Plus rien alors ne peut arrêter la déperdition de soi, de l’image de soi : l’auto-Hogra, premier pas sur la pente du désespoir, de l’asthénie...De la mort ou pour le moins - et le plus grave - de son culte, culture de Kamikaze! On s’exile alors, loin de l’espoir, loin du combat pour la vie et la dignité, loin de la vie tout court : les «Harraga» le sont d’abord par rapport à la vie, et leur «Hogra» à eux vise d’abord leur propre personne, leur âme même! Et bien entendu leur propre pays. Ils finissent - légitimement?- par le mépriser, devenant, à leur corps défendant, également «Haggara», entre eux, vis-à-vis des moins chanceux (!) parmi eux!

Avec quelle énergie collective et confiante ce pays pourrait-il prétendre à une vie meilleure et digne parmi les peuples?! Comment pourrait-il transformer ses «Haggara» et ses «Harraga» en des citoyens bâtisseurs d’avenir meilleur et mérité...des citoyens conquérants de plus larges horizons de libertés, d’équité, de solidarité et de dignité?!

Malgré tout, l’affranchissement de cette auto-Hogra commence par l’effort d’en prendre conscience. Et de combattre tous les «Haggara» et tous les «Harraga». Vaste chantier de travail sur soi, sur le Marocain qu’on est. Le Marocain qu’on veut être. Pas le Marocain que les Marocains Haggara et Harraga veulent qu’on soit : un servile dédaigneux et dédaigné, «Haggar» et «Mahgour » !


par Jamal Eddine Naji
Source: Al Bayane

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