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Etat des lieux des revendications amazighophones

Les amazighophones ne décolèrent pas. Cinq ans après le discours royal sur la réhabilitation de cette langue, rien n'a été fait. Moins de 1% des écoliers seulement suivent l'enseignement de cette matière dans les écoles. Quant à la télé, mieux vaut l’oublier. Les grilles des deux chaînes ont totalement zappé les 30% de l'espace consacré aux programmes amazighs.

En prononçant son discours du 17 octobre 2001 à Agadir, le roi Mohammed VI avait pris une décision qui ferait date quant à la réhabilitation de l'amazigh dans l'espace éducatif, socioculturel et médiatique. Le fait aussi que le chef de l'Etat donne naissance à l'Ircam (Institut royal de la culture amazighe) atteste de la volonté royale de valoriser cette langue tout en évitant que l'amazighité soit mise au service de desseins politiques.

Cinq ans après, la réalité s'avère amère aussi bien en ce qui concerne l'introduction de l'amazigh dans le système éducatif que dans les médias audiovisuels publics. En témoigne la création récente d'un comité pour la défense de l'amazigh à la télévision. Regroupant plusieurs associations, ce comité estime que le gouvernement a failli à ses engagements quant à la promotion de cette langue dans les chaînes nationales. «La convention conclue, il y a dix mois, entre l'Ircam et le ministère de la Communication et selon laquelle les programmes en amazigh doivent occuper 30% de la grille des télés publiques est restée jusqu'à ce jour lettre morte», relève Rachid Raha, membre de ce comité et ex-président du Congrès mondial amazigh. Selon lui, le gouvernement met en avant les mêmes prétextes, notamment le manque de moyens financiers, pour ne pas donner à cette langue toute la place qu'elle mérite sur les chaînes nationales. «La Société nationale de radiodiffusion et de télévision a bien trouvé des moyens financiers pour créer de nouvelles chaînes non revendiquées à l'image d’Arrabia et d’Arryadia, alors que pour la télé amazighe, porte-parole d'une majorité silencieuse, c'est l'absence de budget qui revient dans le discours des officiels», pour reprendre ses propos. Face aux pressions de ce comité, Nabil Benabdellah, ministre de la Communication, s'est réuni avec les responsables de l'Ircam pour faire le point sur les préparatifs relatifs à la création de la chaîne amazighe. Une rencontre pour la forme qui n'a pas abouti à des actions concrètes.

Pas de volonté politique
En attendant la naissance de cette chaîne prévue pour l'année prochaine, la SNRT et Soread-2M font l'objet de vives critiques quant au non-respect de leurs obligations en matière de programmation amazighe. Dans ce registre, le Comité pour la défense de l'amazigh à la télévision a saisi la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA) pour rappeler à l'ordre les opérateurs publics. Les membres du Comité vont plus loin en décidant de poursuivre en justice le ministère de la Communication, la SNRT et la deuxième chaîne. Ils ont également sensibilisé les députés de la nation à cette question. «A ce jour, l'ensemble de la classe politique reste muette à propos de la discrimination dont l'amazigh fait l'objet dans les médias publics», fait savoir Rachid Raha. Un mutisme qui, selon lui, démontre qu'il n'existe pas une réelle volonté politique de faire pression sur les responsables des deux chaînes qui, eux aussi, affichent une discrétion totale par rapport à ce sujet sensible. Une discrétion qui risque de leur coûter cher dans la mesure où ils seront appelés à rendre des comptes au régulateur. Pour l'heure, le verdict de la HACA se fait toujours attendre. Du côté de l'Ircam, son recteur Ahmed Boukous n'a pas hésité à sortir l'artillerie lourde pour appuyer les revendications du Comité de défense de l'amazigh à la télévision. Sa dernière sortie médiatique en est la preuve. Selon lui, les engagements de la SNRT et 2M, inscrits noir sur blanc dans leurs cahiers de charges, n'ont pas été honorés (l'Ircam a saisi également la HACA). Dans le même ordre d'idées, Rachid Raha estime que «les deux structures audiovisuelles publiques prennent ce dossier à la légère». «Notre patience a trop duré et le moment est venu pour qu'elles assument leurs responsabilités éditoriales en matière de contenu amazigh», poursuit-il. Il y a lieu de noter que 2M est censée programmer un journal télévisé quotidien en amazigh, une émission hebdomadaire d'information ou de société, quatre heures de chansons chaque mois et douze téléfilms, films ou représentations théâtrales chaque année. Idem pour la première chaîne. Des obligations non respectées pour le moment. Et pour faire bonne impression, nos télés publiques se donnent à cœur joie au sous-titrage en amazigh des programmes arabophones et francophones. De quoi irriter les amazighophones les plus tolérants.

Au niveau de l'introduction de cette langue dans le système éducatif, là aussi, des voix crient au scandale. Il existe toujours des obstacles qui limitent l'apprentissage de l'amazigh au sein des écoles pour ne citer que la non-disponibilité des manuels scolaires dans plusieurs régions du pays. Rachid Raha considère que 2006 est “une année blanche” en ce qui concerne l'enseignement de l'amazigh dans les écoles publiques, compte tenu des problèmes liés à la distribution des manuels scolaires. Et d'ajouter que «le ministère de l'Education nationale ne joue pas entièrement son rôle pour veiller à la réhabilitation de cette langue dans le circuit scolaire en mettant les moyens nécessaires». Selon le plan du ministère de l'Education nationale, la généralisation de l'enseignement de l'amazigh se fera en 2010. Mais au train où vont les choses, des observateurs émettent des réserves quant à la réalisation de cet objectif ambitieux. Certains parlent même d'un échec. Et pour cause, des enfants ayant suivi des cours d'amazigh en première année se voient privés de cet enseignement l'année suivante. Et c'est l'autorité de tutelle qui assume cette lourde responsabilité. «Si la volonté politique existe, c'est l'exécution qui fait défaut», analysent des formateurs. En fin de compte, les traces de l'amazigh se perdent même si les enfants bénéficiaires affichent dans un premier temps leur enthousiasme pour apprendre cette langue. Côté chiffres, ce sont 1200 classes à travers le royaume dans lesquelles on dispense cet enseignement, soit 48000 élèves (0,012% sur 4 millions d'élèves en primaire). Difficile alors de parler de bilan positif.

Mohamed Douyeb
Source: Le Journal Hebdomadaire

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