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A Grigny, les fils voulaient venger leurs pères


Les incidents de dimanche seraient liés à l'intervention musclée de CRS dans un café.

Un bus et trois voitures ont brûlé dimanche à la Grande-Borne à Grigny (Essonne). Des jeunes cagoulés ont caillassé les policiers une partie de l'après-midi. Un peu de suie macule encore le bitume de la grande cité (3 600 logements, 11 000 habitants), qui s'étend le long de l'A6, à une trentaine de kilomètres au sud de Paris. Comme tous les grands ensembles d'Ile-de-France, la Grande-Borne est attendue au tournant de cette date anniversaire qu'est le début des émeutes à Clichy-sous-Bois, le 27 octobre 2005. Mais le calendrier n'est pour rien dans les violences de dimanche, répète-t-on au pied des barres sinueuses de Grigny. « Ce n'est pas une date anniversaire qui va mettre la rage au ventre des jeunes, explique un éducateur en contemplant les traces noires de l'incendie. Dimanche, il ne s'agissait ni d'une émeute, ni d'une révolte. Mais d'un acte de rébellion contre la police. Globalement, les gamins sont plutôt résignés sur leur sort mais qu'on s'en prenne à leurs pères et ils pètent les plombs.»


«Virez-moi tout ça du café». Hier, aux abords de la place Treille, trois adultes racontent qu'ils ont été témoins samedi soir de l'incident avec la police qui a entraîné les violences de dimanche. Karim, 32 ans, Ali, 42 ans, et Mohamed, 42 ans, ont pris l'habitude de se retrouver à la Chicha, située place de la Treille. Les pères de famille jouent aux dominos, aux cartes, dans ce salon de thé ouvert il y a un an. En cet avant-dernier jour du ramadan, l'endroit était bondé quand Mohamed a vu entrer quatre CRS : «Le premier a dit : "Bonsoir, messieurs, c'est pour un contrôle des papiers." Le gérant lui a demandé s'il avait un papier l'autorisant à agir ainsi. Le policier lui a dit qu'il avait le droit et qu'il était de la police de Juvisy. Le garçon lui a dit que les papiers du salon de thé avaient déjà été vérifiés par le commissaire de Grigny. Puis il a décroché son téléphone et c'est là que le policier s'est avancé vers le bar pour l'empêcher de téléphoner.» Le ton monte dans le salon de thé, un CRS pousse un jeune qui le pousse à son tour. Un autre jeune tente de filmer la scène avec son téléphone portable et un témoin se souvient «du chef des policiers qui a crié "Virez-moi tout ça du café." Puis les CRS ont tiré des grenades lacrymogènes au milieu des papas dehors devant la Chicha». Le gérant, âgé de 23 ans, et son frère de 17 ans sont interpellés et placés en garde à vue. Ils seront poursuivis pour outrages et rébellions à agents de la force publique. La place de la Treille est cernée par un important dispositif policier. Dimanche, à la mi-journée, les violences débutent avec l'incendie d'une voiture, puis d'un bus, suivis de caillassages des forces de l'ordre.

L'émotion était toujours perceptible, hier après-midi à la Grande-Borne. Le quartier est en émoi parce que «des policiers ont gazé des pères», répètent en choeur un groupe d'adolescents. Un adulte s'approche, la voix pleine de colère : «Les flics, ils ne respectent plus personne. Samedi soir, à la Chicha, il y avait des personnes âgées. Ce ne sont pas des chiens. Pourquoi les policiers sont rentrés casqués, pour leur mettre la pression ?» L'homme se reprend, plus calme : «Tout cela, c'est calculé. Ça fait combien de temps qu'il n'y avait pas eu d'émeute à la Grande-Borne ? Il ne faut pas prendre les gens pour des cons, c'est de la provocation pure et dure.» Mohamed intervient : «Franchement, moi, j'ai toujours été contre les violences urbaines, mais, hier, je me sentais des deux côtés : celui de la police et celui des jeunes.» Son voisin le coupe : «En allant brûler le car, ils ne font que servir le ministère de l'Intérieur.»
«On ne voit ça nulle part ailleurs.» Au tribunal pour enfants d'Evry, Mehdi Fatihi attend d'être fixé sur le sort de l'un de ses deux fils interpellé samedi soir. «Pourquoi c'est toujours la Chicha qui est contrôlé ?» s'interroge cet ouvrier imprimeur de 53 ans. Il y a un an, il a soutenu le projet professionnel de ses fils pour les sortir du chômage en les aidant à ouvrir un salon de thé dans la Grande-Borne. Il s'en était expliqué dans Libération le 11 octobre 2005 : «Moi, je suis en France pour faire travailler les gamins, pour qu'ils ne restent pas dans la rue. Ça fait trente ans que je travaille, j'ai fait des économies que j'utilise pour mes gamins. C'est important que les enfants qui portent mon nom aient une belle situation.» Depuis son ouverture, la Chicha a été contrôlée à plusieurs reprises en dépit de papiers en règle. «Les Fatihi ont déposé les papiers de leur commerce à deux reprises au commissariat de Grigny. On ne voit ça nulle part ailleurs», confirme un responsable économique de l'Essonne. «Mehdi Fatihi aurait pu être un exemple cité par les pouvoirs publics. Au lieu de cela, on le casse», s'insurge Amar Henni, éducateur durant vingt ans en Essonne. Mehdi Fatihi a bien une idée sur un tel acharnement : «Ils ne veulent pas que les gens s'en sortent mais qu'ils restent toujours dans leur merde.»

Source: Libération

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