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Coup de foudre à Hay Al Farah

Entre les terroristes et la police, le peuple a choisi son camp. C’est plus rassurant que tous les discours officiels.

Samedi 14 avril 2007 au matin, boulevard Moulay Youssef, Casablanca. Deux kamikazes viennent de faire sauter leurs charges explosives – heureusement, sans faire d’autres victimes qu’eux-mêmes. Sur la scène du drame, quantité d’images frappent le curieux : les corps démembrés des deux terroristes, les limiers de la police scientifique, avec leurs blouses blanches et leurs étranges instruments, le nombre impressionnant de policiers, en uniforme ou en civil mais tous arme à

la main et, nous dira-t-on, balle au canon… Mais ce qui m’a le plus impressionné (car j’étais sur les lieux, au milieu d’une petite foule de mes confrères), c’est cette autre scène, qui s’est répétée à plusieurs reprises : à chaque fois qu’un suspect était interpellé (une vingtaine l’ont été ce matin-là), le fourgon de police qui le transportait avançait au milieu d’une double haie d’honneur faite de milliers de badauds qui… applaudissaient à tout rompre ! Jamais, de mémoire de Marocain, on n’avait vu des citoyens applaudir des policiers. Hier considérés comme des tortionnaires et des familiers de l’abus de pouvoir, les voilà aujourd’hui des héros, qui protègent la sécurité des citoyens au péril de leur vie. Quel spectaculaire retournement ! Du coup, non seulement on les applaudit, mais on les aide activement.

On sait que le terroriste qui, après avoir passé près de 50 heures à se terrer sous un lit à Hay Al Farah, a été capturé vivant par des jeunes du quartier. Ce qu’on sait moins, c’est que pendant que 2 ou 3 jeunes, vite rejoints par la police, étaient occupés à le maîtriser, une cinquantaine d’autres formaient spontanément, de leurs corps, un cordon de sécurité. Et le cordon a tenu, jusqu’à ce que les policiers en remercient les maillons et leur demandent de se disperser. Lors de la conférence de presse qui a suivi le sanglant rodéo du 10 avril, les autorités n’ont pas eu de mots assez forts, d’expressions assez vibrantes pour louer le patriotisme et la mobilisation de la population. Serait-ce parce que (on attribue ce bon mot au général Mohamed Belbachir, ex-chef de renseignements militaires) “le Maroc compte 30 millions d’indics” ?

Non. En tout cas, pas depuis le 10 avril. Un indic, ça travaille pour de l’argent. Mais les jeunes “oulad derb” de Hay Al Farah, ou encore ceux qui ont aidé à interpeller quelques-uns des suspects du 14 avril, ne demandaient rien d’autre que leur quart d’heure de gloire. Sitôt leurs exploits accomplis, ils se mettaient en quête… du journaliste le plus proche, pour qu’il note bien leurs noms et faits d’armes. Sympathique, et absolument pas déshonorant. Cette vieille dame de Hay Al Farah ne demandait rien. Elle qui, spontanément, a préparé des mlaoui, de la harcha, du thé et des tartines de beurre et de confiture aux agents qui suaient sang et eau sous ses fenêtres depuis 5 heures du matin, Beretta au poing. Elle se contentait de remercier la police, à sa manière. Pareil pour cet homme qui, entendant des flics se plaindre (entre eux) qu’ils n’avaient rien mangé depuis le matin, a spontanément acheté ce que lui permettait sa maigre bourse (15 Raïbi Jamila et autant de mille-feuilles), avant de le leur distribuer sans mot dire. Solidaires, un point c’est tout.

Oui, le terreau du terrorisme, c’est la misère et l’injustice sociale. 10 avril ou pas, ces maux existent encore, hélas, au Maroc. Oui, la torture (à l’encontre des islamistes) et les comportements contraires à l’esprit des lois, ça existe encore, hélas, parmi nos forces de l’ordre. Mais entre les terroristes et la police, le peuple a choisi son camp. Pour nous convaincre que le terrorisme ne “prendra” pas au Maroc, l’Etat peut nous donner toutes les assurances sécuritaires qu’il veut. Aucune ne sera aussi forte que celle-là.


Ahmed R. Benchemsi
Source: Telquel

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