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Un voile sur la presse marocaine

A l’approche d’élections législatives très attendues – ce vendredi 7 septembre –, qui pourraient voir la victoire des islamistes du Parti de la Justice et du Développement (PJD), le pouvoir marocain se raidit. Première visée : la presse indépendante.

Sale temps pour les journalistes du royaume chérifien. L’ouverture démocratique prônée par le roi Mohammed VI à son arrivée sur le trône, en 1999, qui avait permis l’émergence d’une presse indépendante de qualité a fait long feu. Depuis quelques années, les amendes et condamnations de journalistes se multiplient. Une stratégie de censure « sophistiquée », décrite par le Comité de protection des journalistes (CPJ), une ONG américaine, dans son rapport publié au début de l’été qui couvre la période 2002-2007 : « Contrairement à la répression brutale à laquelle ont recours certains de ses voisins, les autorités marocaines ont usé, pour réprimer la presse, de poursuites judiciaires via des tiers et d’un système judiciaire politisé. En plus des procès, elles ont intensifié les pressions telles que le boycott publicitaire, l’usage des médias d’Etat pour attaquer les voix critiques et l’orchestration de ‘manifestations’ contre des journaux connus pour leur franc-parler ». En conséquence, la CPJ place le Maroc au côté du Pakistan ou de la Russie parmi les dix pays ayant connu la plus grave détérioration des droits de la presse en cinq ans.

« Nous sommes très étonnés par ce rapport pas objectif qui ne reflète nullement la situation de la liberté de la presse au Maroc », assurait candide Nabil Benabdellah, ministre marocain de la Communication en réponse aux conclusions du rapport. Pourtant, les faits sont étayés. En 2003, le journaliste Ali Lmrabet purgeait une peine d’un an de prison avant d’être gracié, puis était interdit d’exercer son métier pour une période de dix ans, sentence le contraignant à s’exiler en Espagne où il œuvre dans les pages du quotidien El Mundo. Ces derniers mois, les pressions se sont multipliées. Aboubakr Jamaï, directeur de la publication du Journal Hebdomadaire, condamné en 2006 à plus de 200 000 euros d’amende pour avoir mis en doute l’objectivité d’un rapport sur le Sahara occidental était forcé de démissionner afin d’assurer la survie de son journal. Le 15 août, pour la première fois depuis l’épisode Lmrabet, un journaliste (de l’hebdomadaire El-Watan El-An-La Nation maintenant) était condamné à de la prison ferme, huit mois, pour avoir publié des documents confidentiels sur la lutte antiterroriste. Une semaine plus tard, l’hebdomadaire Al-Ousboue (La Semaine) devait s’acquitter d’une amende de 2000 € pour « diffusion de fausse nouvelle » toujours à propos de l’épineuse question du Sahara occidental. Enfin, le 24 août, débutait le procès du directeur des hebdos Tel Quel (francophone) et Nichane (arabophone), Ahmed Benchemsi, inculpé pour « manquement de respect dû à la personne du roi » : en réalité, on lui reprochait un éditorial dans lequel il interpellait le roi en arabe dialectal (sic) en utilisant le terme « mon frère ». Un crime de lèse majesté pour lequel les numéros concernés de Nichane avaient été retirés des kiosques et ceux de Tel Quel directement détruits dans l’imprimerie par une escouade de policiers ! Dernier exemple s’il en fallait : le nouveau projet d’amendement du code de la presse et de l’édition, dévoilé cet été, qui prévoit une aggravation des sanctions…

Comme on le voit, les tabous de l’époque Hassan II – la personne du roi, l’islam et le Sahara occidental – restent de mise. Et le « printemps de la presse » du début des années 2000 s’est mué en hiver rigoureux.

Skander Houidi
Source: Marianne

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