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Immigration : Aux portes de la citadelle

Des milliers de migrants transitent par le Maroc. L’Europe ne cesse de réfléchir au moyen de les empêcher d’aller plus loin, comme lors du Sommet européen du 5 novembre dernier.

Wilfrid et Mike traînent leurs chaussures trouées dans les rues du centre-ville de Ceuta. Ils pénètrent dans un grand magasin, caressent du bout des doigts des vêtements dont ils auraient bien besoin, mais trop chers pour eux. « L’Europe, c’est beau, c’est propre », n’arrêtent-ils pas de s’exclamer, n’en revenant toujours pas d’être sur son sol.

Ces deux camarades sierra-leonais ont vécu deux ans sous une tente de fortune dans une forêt près de Tanger, survivant en mendiant. « On ne pensait pas rester au Maroc si longtemps, on a souffert ». Puis ayant abandonné tout espoir de trouver les quelque 15000 dirhams nécessaires pour passer le détroit de Gibraltar en patera, ils ont rejoint le campement sauvage de Benyounech, dans la forêt bordant l’enclave de Ceuta. D’ici, les clandestins « attaquent le grillage » ou se font tracter par des plongeurs. « Il y a trois semaines, nous sommes passés par la mer, c’est le moyen le plus efficace… mais on ne sait pas nager, on a bu la tasse. Grâce à Dieu, nous voilà enfin arrivés », expliquent William et Tony. Ils gardent précieusement la copie de leur première demande d’asile. À présent, ils espèrent une place dans le camp de l’ONU, puis un laissez-passer. L’Europe n’est encore qu’une vitrine.

Restés derrière eux dans la forêt de Benyounech, plus de 600 migrants subsahariens (Nigéria, Mali, Sénégal, Congo, Cameroun…), mais aussi quelques Algériens ou encore des Pakistanais, attendent toujours de « brûler » la frontière qui les sépare de l’eldorado espagnol. Ils seraient environ 15000 clandestins de passage chaque année dans tout le Maroc. Un chiffre difficile à estimer car nombreux sont ceux qui, expulsés, reviennent tenter leur chance. Leur transit dure des mois, parfois des années, dans des conditions difficiles : isolement, dénuement, maladies, refoulements, violences des mafias africaines et des forces de l’ordre marocaines ou espagnoles... La Cimade (association œcuménique qui accompagne et défend les étrangers et réfugiés) détaille leur parcours et leur quotidien dans un rapport publié fin octobre, après une enquête réalisée auprès d’une centaine de migrants. L’ONG démontre que la situation des migrants réfugiés dans les forêts marocaines est « un des exemples des conséquences de la logique répressive par laquelle l’Europe a choisi de traiter la question des migrations ».

Une forteresse qui se consolide

SIVE (système radar de contrôle de la côte), durcissement des lois, patrouilles maroco-espagnoles. La forteresse Europe ne cesse de consolider ses remparts. Les candidats à l’exil continuent d’affluer et prennent de plus en plus de risques pour éviter la police. Ils s’enfoncent dans la forêt et leur traversée vers l’Espagne s’allonge. Les pateras, pour contourner les zones les plus contrôlées de la côte méditerranéenne espagnole, se dirigent en effet désormais de plus en plus vers Cadiz à l’ouest et Almeria à l’est. Ou partent du Sud, direction les Canaries. Dernière pierre qui a failli s’ajouter aux murailles de la forteresse : le projet germano-italien de créer des centres de traitement des demandes d’asile au Maghreb, « guichets d’immigration » au Maroc mais aussi en Algérie, en Tunisie et surtout en Libye. Rome et Berlin y voyaient le moyen de lutter contre l’immigration clandestine. La France a contesté, rappelant sur la base de sa mauvaise expérience de « Sangatte », que les camps de transit sont au contraire des « bouillons de culture » pour réseaux mafieux.

« Ne laissons pas organiser les prochaines étapes de la dérive inhumanitaire de l’Europe », s’est insurgé le réseau Migreurop, collectif de militants contre l’enfermement dans la politique migratoire de l’UE. Selon eux, les centres d’accueil ne viseraient pas à protéger les migrant, mais bien l’Europe elle-même. Ils ont lancé une pétition refusant la création de camps de détention et de tri.

Hypocrisie européenne

Le débat est provisoirement clos. Le 5 novembre dernier, les 25 chefs d’Etat et de gouvernement européens réunis à Bruxelles ont adopté un plan (dit de « La Haye ») renforçant les politiques communes d’asile et d’immigration. Les pays de l’UE ont d’abord renoncé à leur droit de veto sur ces questions. Elles seront votées à la majorité qualifiée à partir du 1er avril 2005. Et puis l’idée des « guichets d’immigration » qui les divisait a été écartée. Pour l’instant. L’Europe s’est engagée à étudier, en collaboration avec le HCR, « le bien-fondé, l’opportunité et la faisabilité d’un traitement commun des demandes d’asile en dehors du territoire de l’UE ». Les Etats de l’UE encouragent aussi les pays de transit à mieux accueillir et protéger les migrants. Tout en leur demandant de servir de gendarmes pour les empêcher de traverser ! Comme le rappelle une militante espagnole spécialiste de l’immigration : « la frontière sud de l’Espagne a déjà été repoussée au Maroc ».



Armandine Perra
Source: Le Journal Hebdo

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