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Université : A Marrakech, après les troubles, les explications


La paix est-elle revenue pour de bon dans la cité universitaire de l’université Cadi Ayyad à Marrakech ou n’est-ce qu’une trêve ? Les prochains jours le diront. En attendant, comme à l’issue d’une vraie guerre, l’heure est au bilan. Le constat est effrayant.

Des blessés parmi les forces de l’ordre. D’autres dans les rangs des manifestants parmi les étudiants. Des bureaux saccagés. Des vitres cassées. Des équipements brûlés. Des pierres partout. C’est là une petite partie du triste constat établi à l’issue des troubles qu’a connus la cité universitaire de l’université Cadi Ayyad à Marrakech les 14 et 15 mai. « Tout a été détruit », résume le président de cette université. Comment en est-on arrivé là ?

Le 12 mai, des étudiants du courant basiste d’Annahj Addimocrati de la faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales ainsi que de la faculté des Lettres et des Sciences Humaines, fêtaient la libération d’un groupe d’étudiants qui ont été poursuivis et incarcérés après d’autres troubles qu’a connus la cité universitaire le 25 avril dernier. Troubles qui ont été déclenchés en signe de protestation contre l’intoxication alimentaire dont ont été victimes plus d’une vingtaine d’étudiantes et d’étudiants dans la même cité. Déjà en ce vendredi 25 avril, alors qu’ils ont été empêchés d’effectuer une marche de protestation collective vers l’hôpital Ibn Toufail pour marquer leur solidarité avec les étudiants intoxiqués, les étudiants en colère se sont affrontés aux forces de l’ordre.

Ce jour-là, aux gourdins des policiers, les manifestants ont opposé jets de pierre et cocktails Molotov. Là encore, de nombreuses blessures ont été enregistrées et bien sûr il y a eu de la casse aussi. D’où de multiples interpellations. S’en est suivie l’audition d’une quarantaine d’étudiants par la police judiciaire dont la moitié sera aussitôt relâchée. L’autre le sera le 9 mai, après comparution devant la justice, mais demeurera poursuivie en liberté provisoire. Ce qui a été perçu par les étudiants comme une victoire qu’ils voulaient donc fêter le 12 mai. Dans l’enthousiasme de la fête, des étudiants du courant basiste d’Annahj Addimocrati ont estimé qu’il était nécessaire de « poursuivre la lutte ». Ils ont donc convaincu leurs camarades d’effectuer une marche de protestation vers la présidence de l’université Cadi Ayyad. Le but avancé était de continuer à défendre les revendications des étudiants (lire encadré). Mais la situation tournera au vinaire.

Journées noires
Le mercredi 14 mai et le jeudi 15 mai sont des journées à marquer d’une pierre noire par les étudiants résidant dans la cité universitaire de l’université Cadi Ayyad à Marrakech. En ce lieu désormais connu par des révoltes répétées depuis plus de six mois, les étudiants qui voulaient effectuer une marche de protestation ont été contraints de se retrancher dans la cité. Ils ont été rapidement encerclés par les forces de l’ordre venues en grand nombre empêcher la manifestation estudiantine. Mais les manifestants dont certains étaient cagoulés selon différents témoignages concordants, n’ont pas baissé les bras pour autant. Certains parmi les protestataires ont réagi en lançant des pierres et des cocktails Molotov. Les forces de l’ordre ont alors donné l’assaut en utilisant, selon certains témoins, bombes lacrymogènes et balles en caoutchouc. Ce qui a transformé la cité universitaire en un véritable champ de bataille. Bilan : des dégâts matériels importants et plusieurs blessés dont certains sont dans un état grave. C’est le cas d’un policier que des protestataires ont assommé en utilisant une barre de fer. Ce policier n’a pu sauver sa peau qu’après l’usage de son arme qui a effrayé ses assaillants. Quelques manifestants ont été également grièvement blessés.
Précisions

Le parquet de Marrakech a démenti le décès d’un étudiant lors des troubles estudiantins des 14 et 15 mai à Marrakech. Cette mise au point est intervenue après que certaines informations rapportées par des étudiants aient fait état de la mort de l’un des manifestants. Selon certains témoignages, ce dernier aurait perdu la vie après avoir été jeté par des éléments des forces de l’ordre du troisième étage de la cité universitaire de l’université Cadi Ayyad. Ce qui s’avère aujourd’hui faux, même de l’avis de certains étudiants ayant assisté aux manifestations. Par ailleurs, du côté des forces de l’ordre, certains responsables affirment que l’intervention policière visait essentiellement la protection des riverains de tout acte de sabotage. D’ailleurs, notent-ils, des actes de vandalisme ont été enregistrés aux alentours du lieu des manifestations. Dans ce cadre, les protestataires eux-mêmes ne récusent pas le fait qu’ils aient attaqué le café Taloujte. « Nous voulions depuis longtemps voir ce lieu de débauche avoisinant notre cité et la faculté du droit, fermé. Mais rien n’a été fait », confirme un communiqué du courant basiste d’Annahj Addimocrati. Le document porte entête de l’Union nationale des étudiants du Maroc.

Explications du président de l’université Cadi Ayyad
Dans une conférence de presse donnée au lendemain des troubles des 14 et 15 mai, le président de l’université Cadi-Ayyad, Ahmed Merzak a montré aux journalistes des photos montrant des armes blanches, des cocktails Molotov et des bonbonnes de gaz utilisées par les étudiants lors de leurs affrontements avec les forces de l’ordre. « Ce qui fait peser un climat de peur dans l’enceinte universitaire et même en dehors », précise le président au Reporter. Comme il l’avait soutenu dans la conférence de presse, Ahmed Merzak a confirmé que les étudiants meneurs de troubles ont incendié les locaux de l’administration de la cité universitaire, tout en détruisant les fenêtres, les portails et l’ensemble des documents et des archives. Ils ont pillé également, déplore-t-il, l’ensemble des équipements des bureaux (fax, ordinateurs, téléphones, photocopieuses...). Et d’ajouter : « les protestataires ont saccagé également les médicaments et le matériel de l’infirmerie, ainsi que les ouvrages et les manuels de la bibliothèque de la cité universitaire. Ils ont également détruit les équipements du restaurant universitaire et incendié près de 200 matelas ». Le président de l’université Cadi Ayyad qualifie d’irréalistes les revendications des protestataires, parce qu’elles sont, d’après lui, irréalisables puisque dépassant largement les compétences de l’université. Le même responsable a tenu à préciser que les fauteurs de troubles ne sont qu’une minorité. Ils sont, selon lui, parmi les étudiants qui ont été déjà licenciés et éloignés de l’université pour des raisons pédagogiques ou éthiques. D’ailleurs, précise-t-il, à chaque fois que la possibilité d’ouvrir le dialogue avec eux est offerte, ils refusent même de décliner leur identité.

Par ailleurs, Ahmed Merzak a estimé que l’intervention des forces de l’ordre a été le dernier recours. Pour lui, elle était nécessaire surtout après l’échec du dialogue avec les protestataires. Ces derniers, note-t-il, représentent un véritable danger pour l’intégrité physique et morale de l’ensemble des étudiants, des professeurs et des cadres administratifs des deux facultés et de la cité universitaire. Ils contraignent, selon lui, par la force de nombreux étudiants à ne pas suivre normalement leurs cours.

Pas d’année blanche
« Il n’y aura pas d’année blanche », insiste le président de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech. Ahmed Merzak se dit déterminé à sauver l’année universitaire en cours et garantir le déroulement des cours et des examens dans les meilleures conditions possibles. Le Conseil de l’université Cadi Ayyad, ceux de la faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales ainsi que de la faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Marrakech ont tenu, dans ce sens, des réunions successives au cours desquelles une série de mesures a été prises pour que les cours reprennent normalement. Ce qui est le cas aujourd’hui, affirment les responsables des facultés concernées et le président de l’université Cadi Ayyad.

L’avis du ministre de l’Enseignement
Le ministre de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur, de la formation des cadres et de la recherche scientifique ne cache pas son agacement des troubles à répétition survenus à Marrakech. De l’avis d’Ahmed Akhchichen, « ce sont des éventements déplorables. J’aurais souhaité, personnellement, que l’on n’en arrive pas à des solutions telles que celle qui a été utilisée pour régler cette crise ». Le ministre ajoute : « il faut savoir que depuis plusieurs semaines, un petit groupe d’étudiants, pour des raisons qui sont, à mon avis, d’abord politiques avant d’être véritablement revendicatives, ont empêché la liberté des cours et leur déroulement dans des conditions normales. Il était tout à fait normal, devant les risques encourus de prendre les mesures de sécurité qui s’imposent ». Concernant les revendications défendues par les protestatires, le ministre est catégorique : « d’abord on n’a pas reçu de revendications à proprement parler, pour être clair. On n’a aucun document écrit à ce sujet. Mais d’après les échos qui me sont parvenus, il y a par exemple une revendication pour porter les bourses à 1500 Dh. Une autre revendication pour avoir la gratuité du transport urbain et une autre pour que les coûts de transport des étudiants de Ouarzazate et de Tata soient remboursés...Il y a bien d’autres revendications de ce genre ». Et à la question d’ouvrir le dialogue justement pour clarifier ces revendications, le ministre a répondu : « jusqu’à aujourd’hui, il n’y a aucun cadre pour pouvoir en discuter ».

Revendications
Les protestataires parmi les étudiants demandant la revalorisation de la bourse estudiantine à 1.500,00 dirhams par mois. Ils réclament également la gratuité des repas et du transport pour certaines catégories d’étudiants, la suppression de la note éliminatoire et la suppression de la mesure instituant la présence obligatoire des étudiants aux cours. Ils revendiquent aussi le respect de la liberté syndicale et surtout le renvoi du doyen de la Faculté de droit. Ils accusent ce responsable d’être à l’origine de tous leurs maux. Autres revendications mises en avant : l’amélioration des conditions de logement des étudiants, la réintégration des étudiants expulsés et le desserrement de l’étau policier aux facultés dites à problèmes. Les revendications exprimées comportent aussi un point relatif à la création d’une commission de délégués des étudiants qui devra avoir pour mission d’assister les professeurs lors de la correction des copies d’examen.

Accalmie
La vie reprend son cours normal dans la faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales ainsi que dans celle des Lettres et des Sciences Humaines. D’après la présidence de l’université Cadi Ayyad de Marrakech (UCAM), la reprise des cours par de nombreux étudiantes et étudiants a été enregistrée depuis hier. Le retour à la normale s’effectue rapidement, assure la même source. Les absences enregistrées se justifient, d’après le président de l’UCAM, par le retour des étudiants habitant dans certaines localités chez eux, puisqu’ils ont été momentanément contraints de quitter leur logement dans la cité universitaire à cause des troubles. Les responsables concernés soulignent que la plupart des étudiants et leurs familles sont contre la violence prônée par un groupuscule de provocateurs qui ont d’autres visées que de poursuivre normalement leurs études. A l’heure où nous mettions sous presse, la reprise des cours dans les facultés des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales ainsi que dans celle des Lettres et des Sciences Humaines sont toujours placées sous la surveillance des forces de l’ordre. Il en va de même de la cité universitaire de l’université Cadi Ayyad. « Après ce qui est arrivé, c’est normal que la vigilance reste de mise », argumente Ahmed Merzak. Rappelons-le, à l’issue des troubles survenus les 14 et 15 mai, dix-huit protestataires parmi les étudiants ont été écroués. Onze auraient été relâchés et sept maintenus en détention. Ces derniers seraient considérés par la justice comme étant les principaux meneurs, commente une source policière. Ils risquent de payer cher pour tout ce qui s’est passé.

Carences
« Le coût de la vie pour les étudiants, qui ne bénéficient pas de logement dans la cité universitaire, pose un sérieux problème que le manque de moyens de l’université ne permet pas de résoudre », la déclaration est celle du président de l’UCAM lui-même. Ce dernier a admis également lors de la conférence qu’il a donnée au lendemain de la première journée des troubles, que la situation de la cité universitaire exige des mesures rapides dans un proche avenir, appelant le conseil communal de Marrakech à se pencher sur la question et à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour construire une nouvelle cité.

La gauche soutient les protestataires
Réagissant aux événements survenus dans la cité universitaire de l’université Cadi Ayyad, plusieurs partis de la gauche et quelques syndicats sectoriels affiliés à la CDT ont marqué leur soutien au mouvement estudiantin. Dans un communiqué qu’ils viennent de rendre public, ils appellent à la libération des étudiants maintenus en détentions et à la satisfaction de leurs revendications. Parmi les signataires de ce document, le Parti Socialiste Unifié (PSU), Annahj Addimocrati, le parti de l’avant garde démocratique et socialiste (PADS) ainsi que le parti du congrès national ittihadi (CNI). En outre, les organisations syndicales signataires sont le syndicat national de l’enseignement (SNI), le syndicat national des postes et le syndicat national des fonctionnaires et des agents de l’enseignement supérieur. Elles sont toutes affiliées à la CDT. Il y a également des syndicats affiliés à l’UMT. En l’occurrence, les fédérations nationales de l’agriculture et de l’enseignement.

Mohamed Zainabi
Source: Le Reporter

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