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Tournant crucial pour la revendication amazighe

Dans une lettre adressée au Souverain, les membres de l’IRCAM demandent la protection juridique de la langue amazighe : objectif, sa « constitutionnalisation ». Le gouvernement et les partis politiques accusés de faire blocage à l’intégration de l’identité amazighe. La dimension politique prend le pas sur les mesures techniques prises jusque-là.

Quelques semaines après la démission, fin février, de sept membres du Conseil d’administration de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM), les membres restants adressent un mémorandum au Souverain dans lequel ils demandent la protection juridique de la langue amazighe. Si la missive n’ose pas aborder la réforme de la Constitution, elle s’y prend de manière détournée. Chez les imazighen, protection juridique veut clairement dire « constitutionnalisation » de la langue amazighe. A la mi-avril, une rencontre sur la constitutionnalisation du tamazight s’est tenue à Agadir entre les principales associations berbères du pays. Une rencontre de coordination est d’ailleurs prévue pour le mois de juin prochain dans une des villes du Moyen-Atlas pour faire avancer la revendication de la constitutionnalisation de la langue. Si la revendication d’une réforme constitutionnelle de la part des associations berbères n’est pas un fait nouveau, l’insistance avec laquelle celles-ci reviennent à la charge est toute récente. Assiste-t-on alors à une radicalisation des imazighens ? Serait-on en train d’assister à une mue au sein du mouvement berbère qui en fera un mouvement exclusivement politique ? Les associations, au départ culturelles, chercheraient-elles un clash politique avec l’Etat au moment où tout semble aller vers le mieux sur le plan culturel ? Il faut nuancer, et ne pas oublier que la loi sur les partis trace des limites claires à l’action politique, en matière de positionnement ethnique, tribal ou religieux, mais la politisation de la question amazighe est aujourd’hui un fait.

On a cru que l’IRCAM allait résoudre tous les problèmes D’après Ahmed Assid, membre du conseil d’administration de l’IRCAM, « même si le travail des associations était à la base culturel, leur production reflétait une conscience politique très développée. Mais le travail est toujours resté principalement culturel. Si le tamazight n’a pas disparu, c’est grâce à la chanson, à la poésie, à l’art en général. » « La question amazighe est une question essentiellement politique, mais sans proposer une alternative politique », insiste Brahim Akhiat, secrétaire général l’Association marocaine de recherches et d’échanges culturels (AMREC). Il faut dire que depuis quelque temps déjà, plusieurs associations amazighes font de la réforme de la Constitution leur principal cheval de bataille, mais ce qui a fait revenir le débat sur le devant de la scène, ce sont les retards dans la mise en application par certains ministères de la production de l’IRCAM. Des membres de cette institution accusent des ministres, notamment de l’Education nationale et de la Communication de traîner les pieds quant à l’application des conventions signées avec l’institut. « La base ne comprend pas ce qui arrive.

Les associations ont cru que nous avions beaucoup de pouvoir. C’est pourquoi elles se demandaient pourquoi nous laissions faire », explique Meriem Demnati, membre du conseil d’administration de l’IRCAM. Cela alors même que, sur le terrain, les associations assistent parfois impuissantes à un véritable printemps culturel berbère. La production de films en amazighe a explosé... Ici et là des festivals, des pièces de théâtre et des panneaux publicitaires en tifinagh. Du jamais vu jusqu’à présent ! La nature ayant horreur du vide, la culture ne semble pas vouloir attendre que le politique se mette au diapason. Phénomène somme toute normal en raison « des libertés de plus en plus grandes dont jouissent les Marocains », affirme un militant amazigh. Les associations tentent de faire de la récupération en surfant sur ce dynamisme mais également sur le mécontentement qu’engendrent les blocages que connaissent l’enseignement de la langue et la diffusion de programmes télévisés en tamazight.

La cible des associations est connue et publiquement déclarée : le gouvernement, et à travers lui, les partis. « Le fait que l’intégration du tamazight dans les institutions soit une décision royale est resté, pour les partis politiques, en travers de la gorge. D’ailleurs, les partis représentés au gouvernement n’ont jamais été des partis qui ont soutenu la cause amazighe. C’est là le problème », fulmine Meriem Demnati. Un avis largement partagé au sein du mouvement berbère. Brahim Akhiat n’y va pas par quatre chemins : « Si le Roi a fait ce qu’il devait faire en légitimant les revendications du mouvement berbère, le Parlement et le gouvernement traînent les pieds. Il y a des lobbies qui ne veulent pas l’intégration de l’identité amazighe. Et là je n’excluerais aucun parti politique ». La messe est dite. Mais faut-il tout mettre sur le dos du gouvernement et des partis ? Ahmed Dgherni, militant associatif amazigh, ne semble pas de cet avis. Pour lui tout le processus est tronqué. La cooptation d’une certaine élite berbère à l’IRCAM a été pour beaucoup dans « l’échec » que certains veulent imputer aux « lobbies ». « Rien ne sert de montrer du doigt les partis politiques et autres lobbies alors que les gens de l’IRCAM sont partie prenante au jeu », ironise Ahmed Dgherni. Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui le mouvement amazigh est partagé entre deux tendances. « La première pense qu’il ne faut pas attendre la réforme constitutionnelle et saisir l’opportunité pour faire avancer les choses. La deuxième tendance est plus radicale. Les personnes qui l’animent estiment que toute participation aux institutions doit commencer par la réforme de la Constitution », nuance Ahmed Assid. Les prochains jours promettent plusieurs rebondissements car le mouvement est en train de retrouver une dynamique et une vigueur qui étaient les siennes avant la création de l’IRCAM

Source : La vie economique

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