Menu

Les marocains sont-ils résignés ?

Les Marocains sont-ils résignés ? Ont-ils baissé les bras, ou, comme le veut l'expression consacrée, « salmou amrhoum li llah » (ils ont placé leur destin entre les mains de Dieu) ? Ont-ils prise sur leur destinée ? Sommes-nous encore, comme le souligne le politologue, Abdallah Saâf, une société corporatiste dans laquelle les acteurs et les médiateurs sociaux ne prennent pas d'initiative ?

A ces questions, la plupart des interlocuteurs dans le domaine politique, économique ou culturel tentent, dans un premier temps, de répondre par l'affirmative. Puis ils se rétractent... Parce qu'une petite flammèche qui éclaire le chemin d'un avenir moins sombre continue de briller nonobstant le climat ambiant. Pour certains, tout est lié au mode de gouvernance : un pouvoir exécutif fort qui laisse peu de marge aux autres intervenants et impose l'immobilisme et le consensus paralysant comme tempo. D'autres ont une analyse anthropologique du mal-être du Marocain, un homme incapable de se mouvoir dans un cadre rigide et rigoureux. Un insoumis qui, paradoxalement, réclame la manière forte.

Des individus forts vs un etat fort
Il y a quelques années, lors d'un colloque à Casablanca qui accueillait le philosophe Guy Sorman, un haut fonctionnaire apostropha l'intervenant de la manière suivante : « Ne pensez-vous pas que le pays a besoin d'un Etat fort » ? « Non, a répondu subtilement le Français, vous avez besoin d'individus forts ». Autrement dit de meneurs d'hommes, d'intellectuels, de capitaines d'industrie, de dissidents, d'idées novatrices capables de donner le la, un autre tempo à un pays qui bouillonne, qui ronge son frein. Car la résignation, ce statu quo idéologique, est l'expression d'une absence de créativité patente. Une créativité qui a pour corrolaire la liberté. Certains argueront que pendant les années de plomb, des artistes se sont exprimés, ont quelquefois fait vibrer les foules grâce à des messages subliminaux ou de manière elliptique. Mais l'Etat s'est toujours empressé de coopter cette divergence et de la faire sienne. L'artiste dissident devenait l'artiste fonctionnaire ou, pire, l'artiste baron.

De la démocratie interne
De grands groupes industriels ont certes vu le jour dans les années 70 mais ils se sont basés sur la prébende et la rente octroyée. Il est donc tout à fait normal que ces patrons de l'ancienne génération et leurs enfants soient actuellement perdus dans un Maroc qui s'ouvre plus sur la compétitivité. Un Maroc où les privilèges persistent mais sont davantage ciblés et plus discrets. Il est aussi tout à fait normal que les partis issus du mouvement national, leurs valeurs, leurs idiomatiques ne trouvent plus écho auprès du peuple marocain. Un parti politique comme le PJD dont la recette du succès repose sur quatre points fondamentaux est incontestablement une réussite. De la démocratie interne, une production intellectuelle peut être rétrograde mais foisonnante, une idéologie forte et un contact soutenu et diversifié avec les citoyens sont les clés de ce succès. Car les partis politiques, censés être les médiateurs des Marocains, sont devenus le cadre de médiation de l'élite politique avec le pouvoir. Le patron du néo-parti « Alliance des libertés », Ali Belhaj, explique, lui, que le scepticisme ambiant plombe également les hommes politiques. « Il m'arrive fréquemment de rencontrer des personnes qui me demandent si je fais encore de la politique ». Car, d'une manière générale, très peu de Marocains croient dans la noblesse de la carrière politique. Oubliés par les partis, les Marocains n'attendent pourtant qu'un déclic crédible pour se mobiliser. Les manifestations de joie de la rue pendant la Coupe d'Afrique des Nations sont en ce sens révélatrices. Autour de l'idée d'un pays victorieux des milliers de personnes sont sorties dans la rue. C'est tout le contraire de la résignation.

Source : Le Journal Hebdomadaire

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com