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La sécheresse au Maroc touche même le cannabis

C'est déjà la mi-juin et la récolte de cannabis s'annonce médiocre dans cette zone agricole située entre Fès et le Rif. "Pas médiocre, catastrophique" , tranche l'homme qui fait office de guide, un enseignant de Rafsaï, la principale ville de cette région du Maroc. "Habituellement, il tombe près de 1 000 mm d'eau par an. Pour 2004-2005, les précipitations n'ont pas dépassé 250 mm ", ajoute-t-il. Le cannabis, comme l'orge, souffre terriblement de la sécheresse. Et si la culture en est officiellement interdite, le Maroc en est le premier producteur et le premier exportateur au monde.

L'enseignant préfère rester anonyme, car les curieux, surtout s'ils sont étrangers, ne sont pas les bienvenus ici. Les agriculteurs s'en méfient comme de la peste. Les autorités les surveillent.

Dans le milieu des années 1990, le cannabis était inconnu dans la région. Juchée à 400 m d'altitude, Rafsaï vivait, plutôt chichement, de ses champs de céréales, de ses plantations d'oliviers et de figuiers, et d'un peu d'élevage. On ne comptait qu'un seul tracteur dans les environs et personne ou presque n'avait eu entre les mains un billet de 200 dirhams (l'équivalent de 20 euros). A l'image de leurs aînés, pour beaucoup de jeunes, s'enrôler dans l'armée était la porte de sortie obligée. Une partie non négligeable de l'encadrement des Forces armées royales (FAR) est d'ailleurs originaire de la région.


RECONVERSION SANS LENDEMAIN

Mais à la fin des années 1990, tout a changé. Les personnalités politiques locales ont incité les agriculteurs à suivre l'exemple de leurs voisins rifains et à préférer la culture du cannabis à celle des céréales pour améliorer leurs revenus. L'idée était bonne du point de vue économique. La région a des printemps ensoleillés et l'eau, en temps normal, ne manque pas. Une rivière, l'oued Oulaÿ, permet même d'irriguer les parcelles qu'elle traverse.

Les premières années de sa reconversion, Rafsaï a connu un miracle économique. Les lopins de cannabis ont fleuri entre les champs d'orge ou sous les oliviers. Surgis d'on ne sait où, les acheteurs ont suivi avec leurs billets de banque et des systèmes de collecte mystérieux. Les meilleures années, les marchands offraient 7 000 dirhams pour un kilo de résine de cannabis, soit davantage que le salaire d'un enseignant. Tout le monde a profité de la manne. "Il y a eu un enrichissement général. Les boutiques de boucher se sont multipliées. Les paraboles de télévision ont fait leur apparition. Des fruits dont on n'avait jamais vu la couleur comme le kiwi, l'ananas ou la mangue ont fait leur apparition au souk tout comme les téléphones portables et les véhicules tout-terrain. Les femmes étaient mieux habillées et les jeunes filles ont été envoyées à l'école, alors que jusque-là elles aidaient leurs parents aux champs" , raconte le guide.

Mais depuis, la sécheresse est venue remettre en cause cet essor. Cette année, le rendement des céréales est en chute libre, les oliviers ne donneront guère et la récolte de cannabis, à la fin de l'été, s'annonce fort médiocre. Les cultures qui jouxtent la rivière pourront être sauvées mais l'essentiel de la récolte, faite sur les flancs de la montagne, est compromise.

Pour ajouter à la déprime des habitants, le préfet de région a décidé d'appliquer les consignes venues de la capitale et de lutter contre la prolifération du cannabis dans la région.

Début juin, des fonctionnaires sont donc arrivés à l'improviste et ont détruit des champs de kif à quelques dizaines de kilomètres de Rafsaï en les aspergeant de produits chimiques. "S'ils débarquent ici, on ne pourra rien faire et ça va recréer de la misère" , assure un jeune électricien, Aziz. D'autant que les cultures de substitution manquent. Les autorités ont évoqué l'idée de relancer la culture de plantes médicinales, paraît-il très nombreuses, et celle des essences de parfum. Mais chacun est convaincu que rien ne remplacera la culture du cannabis pour développer la région.

Jean-Pierre Tuquoi
Source : Le Monde

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