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Communauté: Malaise chez les Juifs


La communauté juive du Maroc est ballottée entre des dirigeants cooptés et un Palais dont les habitudes ont beaucoup changé depuis Hassan II. Les élections de ses instances représentatives, sans cesse repoussées, ne devraient pas y changer grand-chose

Le 7 juin, une délégation de six membres de la communauté israélite de Casablanca s’est rendue à la wilaya de Casablanca. "Monsieur le wali, dit alors Raphael Devico, qui conduit la délégation, nous nous sommes réunis hier pour décider des modalités des élections de nos instances représentatives que nous attendons depuis des décennies". Le wali Mohamed Dryef, apparemment pris au dépourvu, tente de calmer les esprits. Il sait que la démarche de la délégation vise, en premier, deux personnages de poids : Boris Toledano, qui dirige la communauté juive à Casablanca, et Serge Berdugo, ancien ministre sous Hassan II, qui chapeaute la communauté sur l’ensemble du territoire.

Deux "éternels" qui ont vu passer bien des walis… Théoriquement, pourtant, la communauté est placée sous la tutelle administrative du ministère de l’Intérieur, et plus particulièrement de la DAG (direction des affaires générales). Dryef, en tant que wali, est lui-même comptable devant la hiérarchie de la DAG. Il sait que le suivi local des affaires de la communauté est d’abord son affaire. Il répond alors : "Notre prochaine réunion se fera en présence de Serge Berdugo, on établira une feuille de route ensemble (pour la tenue des élections) et je m’engage personnellement à la faire respecter".

Le wali de Casablanca était-il sincère ? La question n’aura jamais de réponse puisque le rendez-vous a été suivi, peu après, par une nouvelle qui allait bouleverser la donne et rétablir le statu quo : le roi Mohammed VI a décidé, comme prévu, de redéployer ses walis et gouverneurs. Dryef, rappelé à l’administration centrale à Rabat, a été remplacé par Mohamed Kabbaj, ancien conseiller du roi, à la wilaya de Casablanca. "Nous avons appris la nouvelle avec philosophie, commente ce membre de la délégation israélite. L’arrivée d’un nouveau wali nous oblige à décaler nos projets, mais ce n’est que partie remise, on finira par aller coûte que coûte aux élections". étrange forcing, qui semble opposer, à la fois, certains membres de la communauté à leurs dirigeants, mais aussi l’ensemble de la communauté à son tuteur : l’état marocain. "On me reproche de repousser indéfiniment les élections ? s’interroge Serge Berdugo. Sachez que je ne fais que respecter la loi. Ce n’est pas à moi, ni à la communauté de tenir ces élections, mais à l’état marocain".

Certains documents et correspondances officielles semblent l’attester. Mohamed Amzazi, ancien patron de la DAG, a bien demandé, depuis le début de la polémique (2000-2001, déjà), de surseoir à l’organisation de ces élections. Aucune explication officielle, si ce n’est le souhait du Palais, murmuré ici et là, "de ne pas brusquer les membres de la communauté et leur donner l’impression de s’immiscer dans leurs affaires internes". Un souci sans doute dicté par la saignée chronique de cette communauté (il en reste 4500 membres seulement à travers tout le Maroc) et, paradoxalement, par l’influence certaine que semble exercer la diaspora établie en Israël, comme dans les autres régions du globe. L’élection d’un président pour Casablanca, et d’un secrétaire général pour tout le Maroc, devient ainsi un enjeu politique, peut-être aussi économique, non seulement pour la communauté juive, mais pour le Palais lui-même. Les Berdugo, Toledano, Devico, Assaraf, Azoulay, dirigeants véritables ou potentiels de la communauté, sont tous des hommes de réseaux. Et la question de savoir quels seraient les mieux indiqués pour diriger la communauté, sous Mohammed VI, est loin d’être tranchée. Berdugo souffre d’abord d’un mal bien marocain : il a trop duré. Intronisé en 1987, il est connu pour avoir longtemps frayé avec Driss Basri. "C’est vrai, admet l’intéressé, j’étais en intimité avec Basri, parce que nos visions concordaient et nos rapports étaient équitables, mais j’ai pris mes distances vis-à-vis de lui, à partir de 1990, au point que Basri lui-même n’était pas au courant de ma nomination au gouvernement en 1993" (ndlr : Berdugo a été ministre du Tourisme entre 1993 et 1995).

Toledano, à l’instar des autres candidats en vue, n’est pas d’une première jeunesse et, comme le dit de lui l’un de ses détracteurs, "il a déjà été trop longtemps aux affaires". Devico souffre d’abord de l’étiquette de l’opposant, ce qui n’est pas forcément un bon gage pour une communauté dont le souci premier est de ne pas faire de vagues. Assaraf est affaibli, après avoir trop longtemps existé, et prospéré, en dehors des instances officielles de la communauté. Azoulay est, pour reprendre une formule en vogue, "très bien là où il est", dans l’entourage royal, jouant les équilibristes et n’intervenant que par intermittence dans les affaires de la communauté.

C’est pourtant dans ce panel-là, sauf surprise majeure, que les futurs dirigeants de la communauté devraient être recrutés. Au grand dam, probablement, d’une jeunesse israélite qui aspire au changement. Et les élections, et la démocratie dans tout cela ? "Il faut bien se rappeler, note ce membre historique de la communauté, que nos instances, depuis Leo Benzaken et David Ammar (anciens dirigeants), ont été d’abord cooptées, désignées par consensus, dans l’intérêt de tous : la communauté, comme l’état (le Palais)". Ce qui est sûr, c’est que, dans l’entourage royal, bien des choses ont changé depuis Hassan II. "Le roi (Hassan II) avait l’habitude d’intervenir directement dans les affaires de la communauté qu’il couvait et protégeait, il consultait au besoin ses proches conseillers, notamment Abdelhadi Boutaleb et Driss Slaoui, pour décider".

Aujourd’hui, le suivi n’est plus assuré que par à-coups, officiellement via le ministère de tutelle, l’Intérieur, et le titulaire au poste Mustapha Sahel, d’une manière plus informelle, plus ponctuelle, par un Azoulay, voire un Mohamed Moâtassim, même s’il se murmure que le roi aurait désigné, depuis peu, un membre de son entourage pour suivre les affaires de la communauté. Une information pour le moment non confirmée.



Ambiance. M6 et les juifs

Une anecdote pour illustrer ce qui ressemble à un changement d’attitude du Palais à l'égard de la communauté juive, depuis l’avènement du nouveau règne : au lendemain des attentats du 16 mai, qui avaient également ciblé l’un des cimetières juifs de Casablanca, le roi Mohammed VI s’était rendu sur place pour présenter ses condoléances à Serge Berdugo. "Mais, majesté, nous ne déplorons aucune victime juive", fit remarquer, avec la courtoisie de rigueur, Berdugo. Riposte royale : "Mais je vous présente mes condoléances en tant que Marocain, et non en tant que juif". Les juifs du Maroc seraient-ils des citoyens comme les autres ? Oui et non. Une anecdote, encore, pour confirmer cet état de fait. Au moment de la circoncision du prince héritier Moulay Hassan, Mohammed VI aurait demandé à un dirigeant de la communauté "de faire circoncire un enfant juif". Le geste, attentionné et ô combien symbolique, est resté sans suite. "La tradition nous impose de circoncire nos enfants huit jours après leur naissance, nous n’avons pas pu trouver d’enfant né une semaine avant la circoncision du prince héritier…".

Source: Telquel

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