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A Marseille, la chasse aux faux résidents vire au délit de faciès

Les services fiscaux refusent de fournir l'avis d'imposition aux habitants de meublés miteux. Premières victimes, les retraités maghrébins.

Gens de condition modeste, habitués à la discrétion et à la vie dans des meublés souvent aux allures de taudis, les retraités maghrébins du quartier Belsunce, à Marseille, en sont tout retournés : les services fiscaux ne leur délivrent plus automatiquement l'avis d'imposition dont ils ont besoin pour leurs démarches administratives. Dans une note interne que s'est procurée Libération, les impôts justifient cette opération de «fiabilisation» des fichiers «afin de détecter les adresses de domiciliations fictives de particuliers et procéder aux annulations [...] de contribuables non imposables, connus seulement à l'IR [impôt sur le revenu], et qui sont en réalité des faux résidents».

Selon cette note, les services ont refusé de saisir 4 000 déclarations, principalement sur le centre des impôts de Marseille 1er-Nord. Objectif : «Lutter contre les faux résidents, qui polluent nos fichiers et qui utilisent la déclaration fiscale et l'avis de non-imposition qui y est attaché pour bénéficier et maximiser des avantages sociaux indus.»

Meublés. A la direction des services fiscaux de Marseille, on affirme que l'affaire est partie d'un contrôle sur certains hôtels meublés, «dont les revenus déclarés ne correspondaient pas aux nombres de personnes qui y déclarent leurs impôts». Selon l'enquête, «dans des meublés avec vingt chambres, on trouve parfois 400 personnes domiciliées pour les impôts». Résultat : «On s'est aperçu que, moyennant finances non déclarées, ces hôteliers domicilient fictivement des personnes. Ils ont reçu des contrôles fiscaux.»

Cela justifie-t-il de tenir pour suspecte toute une population au motif qu'elle passe une partie de son temps au Maghreb, alors qu'elle est d'abord victime de ces marchands de sommeil ? Nouredine Abouakil, de l'association Un centre-ville pour tous, s'indigne du «caractère discriminatoire du procédé» : «On présuppose que tous les habitants d'hôtels meublés maghrébins reçoivent des prestations illégales. C'est cette méthode qui est illégale. Qu'on fasse des contrôles, OK. Mais individuels.» «Il n'y a pas de chasse à l'Arabe, pas de discrimination !», rétorque Karim Belhadj, chargé de communication à la direction des services fiscaux des Bouches-du-Rhône. Selon lui, seules 200 personnes ont reçu un questionnaire (celles qui se sont inquiétées de ne pas avoir d'avis d'imposition, selon la CGT), parmi lesquelles 120 ont été «régularisées». Et la vérification ne vise pas formellement les habitants de meublés maghrébins. Mais, en pratique, ce sont eux qui sont touchés, ce qui suscite des mises en garde syndicales : «Il y a d'un côté le contrôle classique et justifié des hôteliers véreux qui font de la misère un gagne-pain, et de l'autre une opération sur laquelle on n'acceptera aucune mesure discriminatoire, prévient Patricia Tejas (Snadgi-CGT). Surtout que cela touche des populations déjà très fragilisées. On ne veut pas de la chasse aux pauvres. On sera très vigilants contre toute dérive : pas de pointage de populations.»

Selon Me Chantal Bourglan, un collectif d'avocats «planche sur la question» dans le but de saisir la juridiction administrative contre ces «mesures révoltantes». Car les personnes visées sont paniquées. «Je ne sais pas ce qui leur prend, dit Mohamed Khoukhat, 62 ans, maçon à la retraite. On habite à l'hôtel, OK, mais on n'a pas d'autre endroit où aller ! Et sans cet avis d'imposition, on ne fait rien.» Beaucoup de droits (couverture médicale universelle, aide au logement, complément de retraite notamment) en dépendent. Quand, enfin, certains le reçoivent, il est surmonté d'un «avertissement» : «Ce document ne peut en aucun cas constituer un avis fiscal. Dès lors, il ne doit pas être présenté à des organismes pour bénéficier d'un paiement ou d'un avantage quelconque.»

Décontenancés. Dans la rue, à Belsunce, les habitants sont inquiets, des mains se tendent : «Moi non plus, je n'ai rien reçu.» Tayeb Marir, 84 ans, entré en France en 1963 : «Rien reçu.» Ahmed Lacene, 76 ans, entré en 1971 : «Rien reçu.» Un gérant de meublés explique : «Ils gagnent 5 000, au mieux 6 000 euros par an, ce sont des malheureux ! On allège les impôts pour certains, et on enlève à ceux-là ? Mais certains ont fait la guerre, ils ont construit l'Europe ! Pourquoi on les embête ?» La plupart sont décontenancés. Mais pas excités. Or le fisc a, selon la note, engagé «des discussions avec la préfecture de police afin de sécuriser les lieux d'accueil» des impôts. Peur d'une révolte bien improbable : «J'attends qu'ils me le donnent, je ne vais pas faire la bagarre !», soupire Chouarfa, 64 ans.


Source: Libération

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