Le 8 mars 2012, tous les membres du Conseil de la Communauté Marocaine à l’Etranger (CCME), ont reçu un mail surprenant. Adressé depuis la boîte mail de Driss Ajbali, le directeur du CCME, et destiné au président du Conseil Driss El Yazami, ce mail évoque l'existence d'une «caisse noire», traite les différents membres du CCME de «minables», demande le licenciement de trois salariés, «trois cas […] à liquider», et accuse M. El Yazami d’être totalement accaparé par la mise en place du CNDH. Un anonyme s’est chargé de faire parvenir ce message à Yabiladi.com le 30 mars. Cette fuite fait suite à plusieurs mails accusatoires, envoyé de façon anonyme, qui visaient déjà le CCME mais cette fois la provenance du mail interpelle.
«J’ai effectivement reçu ce mail, mais il a été immédiatement suivi d’un autre qui assurait que le premier était faux», raconte Omar El Mourabet, également membre du CCME. «Ma messagerie a été détournée, c’est une manipulation», se défend Driss Ajbali. Il se pourrait, également, qu’un mail ressemblant ait bien été envoyé par M. Ajbali à M. El Yazami mais qu’il ait été piraté et que des éléments polémiques aient été ajoutés.
Un scandale évoqué à Marrakech
Le mail a fait grand bruit, au sein du CCME dont le mandat aurait dû s'achever le 21 décembre 2011, et a été évoqué samedi 31 mars, lors de la sa dernière réunion, à Marrakech. «Il y a quelque chose qui est en cours», en interne, indique Driss Ajbali, sans vouloir en dire plus. «Je sais que M. Ajbali à fait venir une équipe de techniciens pour savoir qui avait envoyé le mail», indique un membre du CCME qui préfère rester anonyme et que nous appellerons Saïd. «Le président du CCME, M. Driss El Yazami nous a affirmé avoir mandaté un cabinet d’expertise pour faire un audit au sein du Conseil, mais cette décision est antérieure au mail en question», ajoute Omar El Mourabet.
«Je ne sais pas si c’est vrai ou faux, mais les données sont suffisamment graves pour demander une enquête approfondie», estime Saïd. «Chacun appréciera le contenu du mail», estime, pour sa part, M. El Mourabet, qui assure croire Driss Ajbali sur parole quand il affirme ne pas en être l’auteur.
La double casquette de El Yazami
Le mail pointe du doigt la double casquette de Driss El Yazami : président du Conseil National des Droit de l’homme, depuis mars 2011, et président du CCME depuis décembre 2007. «Depuis 1 an, ton attention est légèrement concentrée tour à tour, sur la question des Droits de l'Homme […] pendant ce temps là, le CCME est comme installé dans un sas stérilisé. Bien sûr, nous avons organisé entre temps le colloque de Saïdia et le SIEL 2012 dans lequel on était que partie prenante. Maigre bilan !!!!»
«Ce point est parfaitement exact. Depuis le débat sur la nouvelle constitution, M. El Yazami est absent», estime Saïd. Pour Omar El Mourabet, M. El Yazami est conscient que ses deux fonctions sont difficilement cumulables. «Il est dans une situation inconfortable qui donne une mauvaise image du CCME. Aujourd’hui, il prépare les avis consultatifs à rendre au Roi, avant de partir.»
Une caisse noire ?
La plus grave insinuation du mail concerne les finances du Conseil. «Nous avions abordé en 3 réunions 3 façades : du problème du CCME, du problème des finances y compris la caisse noire et les avances que chacun de nous a prise», est-il écrit dans le mail. Là-dessus aucune des personnes que nous avons contactées n’a pu nous répondre. A la décharge de M. Ajbali, cependant, il serait surprenant qu'une personne impliquée dans une affaire de malversations financières, comme le laisse supposer le «chacun de nous a prises», prenne le risque d'utiliser un terme aussi fort et aussi clair que «caisse noire», même dans sa correspondance personnelle.
L’auteur se montre également insultant vis-à-vis des membres du CCME qui ont, chacun, reçu ce message. «Il a été convenu par ailleurs d’organiser un séminaire des membres, si minables soient-ils dans leur majorité et heureusement pour nous !, afin de les informer et de les motiver autant que possible dans une division de travail», continue le mail. Ce propos est visiblement révélateur, quel qu’en soit l’auteur, d’une atmosphère délétère au sein du CCME. «Il y a eu des querelles entre les membres du Conseil, reconnait Omar El Mourabet, mais j’ai toujours fait en sorte de me tenir éloigné de ces disputes.»
«Allez-vous faire foutre !»
Le mail indexe même trois salariés en particuliers sans en donner les noms. «Tu t'es engagé pour ta part à régler le problème de 3 cas problématiques à liquider parmi nos salariés et ce, avant la fin du mois de décembre 2011», souligne l’auteur du mail. «Nous nous sommes tous demandés qui étaient ces trois personnes et je crois en connaître une», indique Saïd. D’après un ancien salarié du CCME, plusieurs salariés ou des membres auraient ainsi quitté le CCME en partie en raison de la pression et des insultes de Driss Ajbali. A la façon dont, Driss Ajbali, embarrassé par nos questions a lancé «Allez vous faire foutre !», avant de raccrocher, nous sommes tentés de le croire.
L’essentiel du mail porte toutefois sur les griefs de Driss Ajbali, à condition qu’il en soit réellement l’auteur, contre Driss El Yazami. «Je fais le constat de la dégénérescence du type de management que tu mets en ouvre depuis bientôt 4 ans et qui n'a produit que des crises et catastrophes. […] J'espère, pour toi, que tu ne vas pas appliquer le même mode de gestion au CNDH. Dans les nominations, tu as réussi à t'entourer de tes amis et d'autres personnes, facilement manipulables. Mais méfie-toi quand même. Il y a des moutons qui deviennent loups», sont les mots sur lesquels se conclut le mail. Une relation très conflictuelle entre les deux hommes qui ne transparait pas, toutefois, en public, selon toutes les personnes que nous avons interrogées.
Piratage du mail ou erreur de manip’
M. Ajbali est-il l’auteur de ce mail ? Les insinuations et les accusations sont-elles exactes ? Pour l’heure, impossible de savoir. «J’ignore si ces données sont vraies, mais, il y a des choses vraisemblables», estime Saïd, fermement. Si la boîte e-mail de M. Ajbali a bien été piratée, «La personne qui a envoyé ce mail est très au courant des arcanes du CCME», estime Saïd, car les détails font référence à des réunions datées, aux taches précises de Driss El Yazami et Driss Ajbali… «Comment un membre extérieur à la direction du CCME aurait-il pu avoir ces informations ?», s’interroge le membre du CCME. Dans ce mail Saïd reconnait également dans l’usage du mot «impérieuses», un style unique, propre à Driss Ajbali. Reste la possibilité que le corbeau ait utilisé un mail réellement envoyé par Driss Ajbali pour y faire des ajouts et le faire parvenir à tous les membres.
Si, toutefois, l’on exclut l’hypothèse du corbeau qui aurait piraté la boîte mail de Driss Ajbali, reste deux possibilités. «Dans le contexte d’un CCME finissant, Driss Ajbali a peut être compris qu’il allait être écarté», imagine Saïd. Obligé de renoncer au poste de président du CCME, qu’il aurait convoité avec le départ de Driss El Yazami, il aurait alors voulu régler ses comptes, mais pourquoi utiliser des moyens détournés qui visiblement le mettent particulièrement dans l’embarras vue la façon cavalière dont il a mis un terme à notre conversation ?
Enfin, «une erreur de manipulation de sa messagerie est également envisageable», estime Saïd. M. Ajbali aurait voulu répondre, par exemple, à Driss El Yazami et aurait répondu accidentellement à l’ensemble des membres du CCME. Si Driss El Yazami accepte de répondre à nos questions, peut être pourrons nous en savoir plus.